Festival de La Roche-sur-Yon | Critique : Familiar Touch

Ruth, 80 ans, croit être amenée à l’hôtel par un prétendant. Or Ruth souffre d’Alzheimer : l’homme à ses côtés est en réalité son fils, et l’hôtel est en fait un centre médicalisé où elle a accepté d’être internée.

Familiar Touch
États-Unis, 2024
De Sarah Friedland

Durée : 1h31

Sortie : –

Note :

LA MÉMOIRE DANS LA PEAU

Ruth, l’héroïne de Familiar Touch, se prépare silencieusement chez elle. La caméra porte une attention particulière à ses gestes. Ceux-ci sont banals: Ruth ouvre sa penderie, prépare un plat. Même si rien n’est vraiment spectaculaire, c’est comme si quelque chose clochait : le vêtement que Ruth cherche n’est visiblement pas à sa place, plus tard elle dépose le toast qu’elle vient de griller à un drôle d’endroit. S’ensuit une discussion avec un invité mais là encore, subtilement, un étrange décalage s’invite, comme si elle et lui menaient deux discussions différentes.

Dans son premier long métrage triplement primé à la dernière Mostra de Venise, l’Américaine Sarah Friedland nous fait adopter le point de vue d’une octogénaire qui perd la mémoire et va être accueillie dans un centre médicalisé plutôt cossu. Rien n’est si net pour Ruth et le film se déroule dans son nuage d’incertitudes, même si le personnel soignant, le fils de Ruth et le public savent bien ce qu’il se passe. Sur un sujet qui peut être traité comme une grande tragédie à la Michael Haneke ou qui peut être le motif de films d’horreur, Sarah Friedland accomplit un petit miracle en étant au carrefour de mille et une émotions, à la fois contradictoires et complémentaires.

Familiar Touch peut parfois avoir la légèreté d’une comédie, mais comment faire une comédie sans se moquer de cette héroïne ? Le long métrage ne met pas de côté la dimension pathétique d’un tel récit, mais il ne fait pas de Ruth un spectacle. C’est un film digne, à la hauteur de la dignité que mérite son personnage, mais ça n’en est pas pour autant un film figé. L’épure de l’écriture (peu de rebondissements, pas d’éclats de larmes et de grands sentiments, peu de dialogues) laisse beaucoup d’espace introspectif, à la fois pour sa protagoniste et pour le public. L’attention délicate de la mise en scène, notamment dans la manière de filmer le corps ou dans le soin des détails, est également un remarquable succès.

Une autre réussite évidente est la prestation de l’actrice principale, Kathleen Chalfant. Croisée ici ou là au cinéma, Chalfant s’est avant tout illustrée sur scène. Elle offre toute une variété de nuances à son inoubliable personnage, un type de protagoniste qu’il serait facile de déshumaniser (dans une scène à la fois innocente et amère, on voit sa petite fille essayer un de ses anciens manteaux et parler déjà d’elle au passé). Familiar Touch n’est ni cruel, ni lesté par une mièvrerie condescendante. Sarah Friedland et Kathleen Chalfant, par la finesse de leur point de vue, parviennent à traiter de vieillesse ou de maladie neurodégénérative avec une chaleur, une honnêteté et une humanité rares.

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par Nicolas Bardot

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