Critique : Excess Will Save Us

Dans Excess Will Save Us, Morgane Dziurla-Petit retourne dans son village natal (un hameau du nord de la France) pour enquêter sur une étrange histoire de menace terroriste. Elle retrouve d’abord les membres de sa propre famille et n’a pas besoin d’aller beaucoup plus loin. Ce qui s’avère être un malentendu montre surtout à quel point les faits divers alarmistes et les machinations politiques peuvent avoir une incidence sur les vies, jusqu’au plus profond de l’arrière-pays.

Excess Will Save Us
Suède, 2022
De Morgane Dziurla-Petit

Durée : 1h40

Sortie : –

Note :

LA TERREUR EST DANS LE PRÉ

« T’as des gens bizarres que tu peux rencontrer », affirme l’un des protagonistes de Excess Will Save Us. Définissez bizarre : des fantômes ? Des terroristes ? Ou juste un gars polonais qui passe dans le coin ? La définition paraît assez floue dans le film de la Française (vivant aujourd’hui en Suède) Morgane Dziurla-Petit (lire notre entretien). Cela tombe bien car son long métrage, extension et nouvelle exploration d’un court réalisé il y a quelques années, n’a que faire des définitions fixes. Est-ce un documentaire ? Est-ce une fiction ? Est-ce les deux en même temps ou bien aucun des deux ?

Pour réaliser ce film, Morgane Dziurla-Petit revient à Villereau, une toute petite commune des Hauts-de-France où elle a grandi. Le point de départ est une rumeur : on a entendu des coups de feu, il s’agirait de terroristes. Cette histoire est clamée de façon théâtrale par l’un des membres de la famille de la réalisatrice. Finalement, il n’en est rien (c’était une bête chasse au pigeon), mais racontée par cet anti héros devant sa ferme en ruines, cette histoire prend la dimension d’une légende comme on pourrait la scander sur la place du village. Ce récit rocambolesque se déroule dans une campagne immobile, dont la beauté triste est saisie par la caméra de Dziurla-Petit.

Mais ce n’est pas parce qu’il semble ne rien se passer à Villereau qu’il ne se passe rien pour ses habitants, au contraire. Les vaches peuvent être seules, les chats vaquent à leurs occupations, mais le fear porn (l’effet des médias qui jouent délibérément et avec complaisance sur les peurs des gens) fonctionne à merveille sur la population, qui voit du terrorisme à la première occasion, qui n’a guère de problème avec le racisme et chez qui la crise sanitaire remet une pièce dans la machine.

Il pourrait y avoir du Groland ou du P’tit Quinquin dans ce no man’s land rural, wtf et lunaire, voire du Roy Andersson mouvant avec cette dimension à la fois pathétique et poignante. On peut ici être authentiquement ému devant une tombe comme on peut chanter une chanson paillarde. Le regard posé est-il moqueur ou méprisant ? Le décor dépeint et les situations peuvent être absurdes, mais où se situe au juste le curseur de l’absurdité ? Lorsque les habitants citent le Président de la République martelant que nous sommes en guerre, qui est le plus absurde ? Quand plus tard on évoque Trump qui conseille de boire de l’eau de javel pour guérir du covid, les habitants n’ont plus l’air si étrange.

Voilà la manière stimulante avec laquelle la cinéaste questionne notre regard sur ce lieu oublié qui devient le centre du monde, mais aussi sur les multiples frontières du réel ou encore sur ces très sérieux « portraits de la France » dont Excess Will Save Us semble être le contrepoint et l’antidote. Plus éparpillé dans sa dernière partie, le film, regorge néanmoins de moment inoubliables et qui peuvent laisser bouche bée. Ça peut être un documentaire, ça peut être une comédie, ça peut être trivial, ça peut être mystérieux, mais c’est aussi un drame profondément amer sur le sort réservé à celles et ceux qui souhaiteraient fuir l’endroit d’où ils viennent.

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par Nicolas Bardot

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