Plusieurs milliards de tonnes de terre sont déplacées chaque année par l’homme – avec des pelles, des excavateurs ou de la dynamite. Nikolaus Geyrhalter observe les gens dans les mines, les carrières et les grands chantiers de construction dans leur lutte constante pour s’approprier la planète.
Earth
Autriche, 2019
De Nikolaus Geyrhalter
Durée : 1h55
Sortie : –
Note :
EARTH SONG
Dans son précédent long métrage, le fascinant Homo-Sapiens, l’Autrichien Nikolaus Geyrhalter filmait une planète désolée qui semblait entièrement vidée de ses humains. C’était un film post-apocalyptique sur ce que nous laisserons : des choses abandonnées depuis une éternité comme un secret dans les bois, des échecs du passé qui ressemblent à une anomalie en pleine nature ou des lieux abandonnés lors d’une tragédie comme à Fukushima. Earth, à l’inverse, est rempli d’êtres humains, et semble se dérouler avant Homo-Sapiens, avec plein de petits agents luttant pour l’apocalypse. En préambule, on nous explique que l’Homme, depuis le début du siècle, a davantage transformé la planète que ne l’a fait la nature elle-même. Comment en arrive t-on là et quel futur envisager ?
Le documentaire est filmé dans plein de régions différentes mais on a le sentiment de voir partout le même décor de chantier. La caméra s’immisce dans les moins recoins et rien ne semble lui échapper, dans le ciel et jusqu’au centre de la terre, sur un drone ou dans une pelleteuse. D’en haut, on contemple un étrange ballet de camions faisant des dessins abstraits au sol. Comme une vue plongeant sur un tapis de Majorette. L’un des intervenants compare d’ailleurs son travail aux jeux d’un garçonnet avec ses petites voitures. A travers les entretiens que le réalisateur mène auprès des ouvriers, une ligne commune se construit. On parle de truc de bonhomme pour draguer les filles. On parle d’adrénaline. On semble généralement n’avoir guère conscience des conséquence puisque les ressources de la nature sont jugées comme « illimitées ». On entend beaucoup de certitudes dans Earth. Mais qui y croit vraiment ?
Lorsque l’un des intervenants explique « qu’on doit aller de l’avant, c’est comme ça », on ne sait plus trop s’il s’agit surtout, comme le font de nombreux climatosceptiques, d’une manière confortable de se poser un voile sur les yeux. Earth expose les contradictions d’individus qui se sentent impuissants, mais qui participent précisément, même à leur petite échelle, à la destruction d’un écosystème. C’est alors une question de langage : ce n’est pas la nature, c’est « un projet ». Ce n’est pas un arbre, c’est « un obstacle ». Geyrhalter filme des engins de construction qui paraissent indestructibles, comme des super-armures pour leurs conducteurs qui, malgré tout, doutent peut-être.
Earth raconte une course qui pourrait bien ne jamais prendre fin : certains s’attendent à ce que la nature reprenne ses droits alors qu’ils génèrent et favorisent une énergie polluante, d’autres parlent du respect de la nature en la trouant – littéralement. Le passé, la plupart du temps, n’est vu que comme une entrave. On relativise parfois, en évoquant le temps des dinosaures et le temps, très court en comparaison, de la présence humaine sur Terre. Cette question d’échelle, de l’immensité à l’individu, revient régulièrement dans Earth. Et puis il y a ce décrochage où la dimension politique est encore plus évidente, lorsque Geyrhalter part à la rencontres d’Améridiens parlant du respect de la nature et de son esprit. Sans didactisme pourtant, sans juger ses interlocuteurs, le cinéaste questionne le système dans lequel on vit – dans lequel on choisit de vivre.
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par Nicolas Bardot