Critique : Dreaming Walls

Le Chelsea Hotel, temple de l’art et repère de la contre-culture à New York depuis plus d’un siècle se transforme en hôtel de luxe. Coincés entre un passé mythique et un futur incertain, ses derniers résidents tentent de se réinventer malgré le chaos du chantier.

Dreaming Walls
Belgique, 2022
De Joe Rohanne & Maya Duverdier

Durée : 1h17

Sortie : 28/08/2024

Note :

LES HABITANTS

Si les murs du célèbre Chelsea Hotel de New York pouvaient parler, il leur faudrait tout d’abord un certain temps avant d’écumer la liste entière de leurs illustres résidents. Plus qu’une page de l’Histoire de l’art, le carnet d’adresse de ces artistes du monde entier qui sont venus y séjourner plus ou moins longtemps (et parfois même y mourir) est un véritable catalogue de la contre-culture occidentale du XXe siècle. Le mythe du Chelsea Hotel, devenu le symbole d’« un New York d’avant garde et de bohème qui n’existe plus aujourd’hui », est si fort qu’il a déjà donné lieu à plusieurs films de cinéma (Chelsea Walls, Chelsea on the Rocks…), mais que reste-il de la légende dans le Manhattan d’aujourd’hui?

Ce documentaire produit par Martin Scorsese pourrait se contenter d’égrener ces célèbres fantômes mais les cinéastes Joe Rohanne et Maya Duverdier ont une autre idée en tête. Passée une introduction en forme de clin d’œil où les visages d’antan sont projetés sur une façade, Dreaming Walls s’intéresse avant tout au présent. En 2011, l’hôtel fut racheté et immédiatement fermé par un promoteur immobilier avide de gros travaux et de futurs tarifs de luxe. Or l’hôtel possédait un certain nombre de résidents permanents logeant sur place depuis des décennies à des tarifs inchangés. Certains ont accepté les propositions de déménagement, tandis qu’une petite poignée d’irréductibles a souhaité rester malgré tout dans ce bâtiment désert. C’est leur quotidien étrange et mélancolique que raconte ce film.

Dans des couloirs anciennement cossus et aujourd’hui remplis de bâches et de gravats accumulés, cela fait longtemps qu’on ne croise plus de célébrités. Des hommes et des femmes souvent âgés titubent péniblement jusqu’à des appartements dont la décoration baigne encore dans un jus d’époque et qui n’ont visiblement reçu la visite récente d’aucun personnel de ménage (ou de qui que ce soit d’ailleurs). Dreaming Walls filme avec une nostalgie très touchante cette minuscule communauté qui vit en autarcie dans une bulle coupée du monde réel, et où il n’y a rien d’autre à faire qu’égrener les souvenirs et parler aux morts.

Passé et présent se superposent avec poésie, au point qu’il faut parfois se pincer pour se rappeler que les images que l’ont voit ne datent pas d’il y a un demi-siècle. La voix lointaine d’un guide touristique explique que l’hôtel est sans doute hanté par ses starlettes assassinées ou artistes maudits suicidés. Dreaming Walls parvient à nous faire volontiers croire à une hantise, mais dans ces décors fantastiques et semi-abandonnés, ce sont plutôt ces derniers habitants qui ont l’air de spectres poignants coincés entre deux mondes.

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par Gregory Coutaut

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