Critique : Direct Action

=À Notre-Dame-des-Landes, le quotidien d’une des plus importantes communautés d’activistes de France. Grâce à sa radicalité et son organisation, elle dessine les contours d’un monde possible, d’une utopie ou d’une échappatoire à la crise environnementale.

Direct Action
Allemagne/France, 2024
De Guillaume Cailleau et Ben Russell

Durée : 3h36

Sortie : –

Note :

APRÈS LA RÉVOLUTION

Selon la définition de Wikipedia, la théorie politique dite de l’action directe est « le mouvement d’un individu ou d’un groupe qui agit par lui-même, afin de peser directement sur un rapport de force pour changer une situation ». Cet idéal anarchiste sert de référence au titre de ce documentaire fleuve réalisé à quatre mains par le Français Guillaume Cailleau et l’Américain Ben Russell, mais aucun rapport ici avec le groupe terroriste communiste français des années 80 Action directe : le sujet de ce film tourné en immersion est nettement plus proche de nous dans le temps puisqu’il s’agit de la ZAD (utilise ici comme acronyme de Zone à défendre) de Notre-Dame des Landes. Ou plutôt, de l’après Notre-Dame des Landes.

Toute une décennie durant, de 2009 à 2018, cette région de l’ouest de la France a accueilli un grand nombre d’hommes et de femmes opposé.e.s au projet de construction d’un aéroport. Suite à des affrontements très médiatisés entre les forces de l’ordre et ces militants écologistes, qui ont fait du coin le centre éphémère de la vie politique française, cette région est finalement devenue une « zone d’expérimentation anti-capitaliste », un champ de bataille réinvesti en terrain de cohabitation pacifiste refusant toute autorité politique. C’est ce terrain-là que la camera des deux cinéastes est partie explorer. Si Direct Action s’ouvre effectivement sur quelques images d’affrontement et de slogans anti-police, celles-ci sont rapidement évacuées (« ça me fait du mal de revoir ces images » confie une voix hors-champ) pour laisser toute la place à… à quoi, d’ailleurs ? Qu’est-ce qui se passe juste après la révolution ?

La réponse pourrait être presque rien, du moins en apparence. Ce que nous montre ce documentaire, ce sont des hommes et des femmes anonymes (ici personne n’est nommé ou même interviewé face à la caméra) qui se livrent à des actions simples appartenant au quotidien de la vie à la campagne : couper du bois, labourer un champ, etc. Il ne faut ici attendre aucune explication sociologique ou politique. Direct Action est au contraire une plongée dans un monde champêtre qui, pendant toute une partie du film, pourrait tout aussi bien être coupée du monde moderne. Cela pourrait ressembler à un fantasme de retour à la nature (comme dans bien des récits post-apocalyptiques) si la mise en scène des deux cinéastes ne transformait pas cette observation en documentaire radical, qui peut par moments évoquer le récent Les Travaux et les jours.

Dénuées de tout commentaires, les séquences sont longues, ininterrompues et souvent muettes. La cadence est particulière, les cadrages aussi, transformant par exemple le pétrissage d’une pâte à pain en un stupéfiant plan-séquence de dix minutes sans présence humaine ou presque. La poésie de cette mise en scène est souvent austère et parfois plus directement payante comme lorsqu’un drone s’envole au dessus des nuages. L’ensemble étant d’une durée conséquente, on en oublierait presque la raison d’être de la communauté ici filmée. Les cinéastes se recentrent sur la question politique dans un dernier acte plus terre à terre, où l’on évoque plus concrètement les gardes à vues et autres violences. Direct Action est un documentaire souvent bien exigeant mais qui n’oublie pas de s’adresser concrètement aux spectateurs, se concluant avec un appel à nous emparer à notre tour de cet idéal anarchiste et à retrouver le pouvoir d’agir.

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par Gregory Coutaut

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