
Union Soviétique, 1937. Des milliers de lettres de détenus accusés à tort par le régime sont brûlées dans une cellule de prison. Contre toute attente, l’une d’entre elles arrive à destination, sur le bureau du procureur local fraîchement nommé, Alexander Kornev. Il se démène pour rencontrer le prisonnier, victime d’agents de la police secrète, la NKVD. Bolchévique chevronné et intègre, le jeune procureur croit à un dysfonctionnement. Sa quête de justice le conduira jusqu’au bureau du procureur-général à Moscou. A l’heure des grandes purges staliniennes, c’est la plongée d’un homme dans un régime totalitaire qui ne dit pas son nom.

Deux procureurs
Ukraine, 2025
De Sergei Loznitsa
Durée : 1h58
Sortie : 24/09/2025
Note :
LA PAROLE EST A LA DÉFENSE
Cela faisait sept ans que le cinéaste ukrainien Sergei Loznitsa n’avait pas réalisé de film de fiction, et huit ans qu’il ne s’était pas retrouvé en compétition à Cannes. Il n’a pourtant pas du tout chômé, enchaînant les documentaires sur le présent et le passé de son pays. Sa machine à remonter le temps s’arrête cette fois-ci en 1937, « point d’orgue de la terreur stalinienne » indique le carton d’ouverture. Mais la violence et l’absurdité d’hier n’ont bien sûr pas disparu. Tout parallèle avec la situation d’aujourd’hui est le bienvenu, et Deux procureurs a ceci de particulier que de par sa simplicité, l’argument central du scénario pourrait être transposé dans n’importe quel pays ou époque sans avoir besoin d’être modifié, et ce alors même que les dialogues sont souvent très riches de détails spécifiques sur cette page particulière de l’Histoire.
On entre dans le film en toquant à la porte d’une prison, le genre de lieu où il parait déjà insensé de frapper mais comme on dit au protagoniste, c’est comme ca et pas autrement. Un avocat procureur vient s’entretenir avec un prisonnier politique, mais le chef de la prison est bien décidé à lui compliquer la tâche. Tout simplement parce qu’il le peut, ou peut-être parce que rien n’a l’air très logique dans ce contexte où la menace de la prison peut susciter des fous rires. Si le récit est simple, la structure scénaristique obéit à des importantes variations de rythme. Sans trop en dévoiler, l’alternance imprévisible entre vignettes vives et plages d’intense sobriété crée une perte de repères qui vient épouser le parcours kafkaïen de cet avocat idéaliste. Comme toujours chez Loznitsa, la mise en scène est impeccable. Chaque décor est superbement filmé, qu’il s’agisse d’une cellule dénudée, d’un wagon de train ou des opulents bureaux des puissants. La différence avec la plupart de ses fictions précédentes tient à cette question de tempo.
Disons que s’il y a une chose qui ne manque pas à Deux procureurs, c’est un monologue. On pourrait presque parler de monologue porn tant le film est bâti autour d’eux. Ce n’est pas tant qu’ils soient hyper nombreux, c’est plutôt qu’ils sont imposants, parfois si lents qu’on en vient à les craindre alors que le protagoniste ne cherche précisément qu’à les recueillir. Le film possède bien une jolie dose d’humour absurde, comme ce palais de justice transformé en labyrinthe. Mais Loznitsa rajoute par derrière de l’austérité en veux-tu en voilà. Pas dupe de l’intransigeance de sa formule, il nous fait un curieux clin d’œil en filmant un personnage s’endormant face à la logorrhée de son interlocuteur. Le résultat ne manque certainement ni d’élégance ni de savoir-faire mais cette lenteur bavarde parfois diablement exigeante réserve sans doute Deux procureurs aux plus patients avant tout.
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par Gregory Coutaut