« Voici Dong, mon ami, fan de rock’n roll et de tout ce qui est porteur de liberté ». Tao Gu rend visite à son camarade d’enfance pour son trentième anniversaire, dix ans après avoir promis de retourner avec lui dans son village natal, en Mongolie intérieure. Sa famille avait pour des raisons économiques migré à Kunming, dans le Sud de la Chine. Si le voyage prend enfin forme, il dévoile surtout l’errance existentielle de Dong, pour qui la vie ne vaut « que pour l’amour », de préférence au pluriel, imprévisible, passionné. Engoncé dans son inamovible perfecto noir, sans emploi, pressé de trouver un travail par ses parents et son frère qui, lui, a bien « réussi », il s’engage sans enthousiasme dans le commerce de pierres de jade…
Comme un cheval fou
Chine, 2017
De Tao Gu
Durée : 2h04
Sortie : –
Note :
CHEVAL SAUVAGE
On a vu beaucoup de portraits de la Chine mutante et des conséquences glaçantes de son ultra-capitalisme dans le cinéma d’auteur contemporain – mais on n’avait peut-être pas encore croisé de protagonistes comme ceux de Comme un cheval fou, documentaire signé Tao Gu. Tao Gu s’est auparavant illustré notamment comme monteur et producteur sur un autre grand documentaire chinois resté inédit chez nous : Vanishing Spring Light, récit crépusculaire d’un quartier d’une ville du Sichuan et qui racontait de manière bouleversante les derniers instants d’une vieille femme, figure emblématique du lieu. C’est au tour de Xun Yu, réalisateur de Vanishing Spring Light, d’assister Tao Gu en produisant et signant la photographie de Comme un cheval fou. Les deux films ont en commun leur regard honnête sur une réalité vibrante, qui saisit la vie et son pouls là où ils se trouvent.
Comme un cheval fou s’ouvre par les images d’un bâtiment dynamité, qui laisse place à un immense nuage de fumée. La ville change, la vie avance, un building peut être ainsi balayé pour être remplacé, mais à 30 ans, la vie de Dong n’a peut-être pas encore réellement débuté. Le jeune homme est lui persuadé que la vie commence à 40 ans, sans qu’on ne sache s’il s’agit d’une intime conviction ou d’une façon de fuir les responsabilités. Tao Gu retrouve cette vieille connaissance, entamant un voyage initiatique qu’ils s’étaient promis de faire il y a des années.
Le décor défile par les fenêtres du train comme, lors d’une belle séquence, autant de souvenirs. Mais Comme un cheval fou n’est pas un doux et croquignolet récit nostalgique. Tao Gu livre un instantané puissant d’une jeunesse sans idéal alors que, comme on l’affirme ici, elle a « besoin d’un but dans la vie ». Derrière le portrait de Dong, il y a le portrait de la génération qui le précède, un père qui compare le marché où il travaille à un champ de bataille, une mère couturière qui, même l’os du poignet brisé, continue de se tuer à la tâche. L’un des deux tranche net : Dong n’est pas un homme. Alors qu’en fait, il n’est tout simplement pas prêt à devenir un esclave comme eux.
Devant la caméra de Tao Gu, l’ultra-réel gravite autour d’une figure romanesque malgré elle. Dong est un rêveur, un amoureux maladroit, un apprenti artiste, un loser magnifique – on le croirait échappé d’un bouquin de John Fante. Tao Gu partage avec lui ses clairvoyantes discussions d’ivrogne ; les ivresses nocturnes ont ici quelque chose qui est à la fois pathétique et flamboyant. Ce portrait d’un désenchantement est saisissant – on prend de la coke pour avoir l’impression d’être amoureux, le concert rock de la cave d’en bas sert d’exutoire vociférant, le compte à rebours pour célébrer Noël est le même que celui qui accompagne la destruction du building d’à côté, et au petit matin on colle, dans un geste d’une superbe nonchalance, ses faux-cils sur un tronc d’arbre qui n’a rien demandé.
Tao Gu crée, sur la longueur, un rare sentiment d’intimité. « Tu n’es jamais dans le réel », accuse t-on le jeune homme, avec un sourire en coin paternaliste. C’est une des questions plus universelles que pose le film, celle du moment où l’on devient adulte et où l’on doit faire des compromis avec ses rêves – ici vivre de son art ou faire du fric avec le commerce du jade. Dong vit-il en vain ? C’est pourtant sa sensibilité et ses fêlures qui en font un être humain de chair et de sang. Un garçon qui, malgré l’interdiction absurde, lance tout de même sa lanterne céleste dans les cieux, espérant, après avoir encore une fois trop picolé, que celle-ci ne s’envolera pas pour rien.
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par Nicolas Bardot