Ils restèrent toute la nuit à discuter dans la chambre de Julia. Elle lui parla des palais, des châteaux, des diamants, et de tout l’or qu’elle avait vu. Elle lui raconta ce qui se passait après la mort. Afine l’écoutait sans dire un mot, ébloui par toutes ces choses dont il n’avait jamais entendu parler.
Cent mille milliards
France, 2024
De Virgil Vernier
Durée : 1h17
Sortie : 04/12/2024
Note :
NOËL ENSEMBLE
« Le géant n’avait peur de rien » dit la voix-off, installant Cent mille milliards dans le registre de la légende. Dans le nouveau film de Virgil Vernier, des ados du sud-est de la France discutent, partagent leurs pires anecdotes d’escort ou à l’ehpad. On rêve de réussite, d’argent, de Dubaï. Le jeune Afine va se retrouver à voyager un peu plus près : à Monaco. Les lieux chez Virgil Vernier ont une importance capitale et donnent d’ailleurs souvent leur nom à ses films, courts, moyens ou longs métrages. On pense à Orléans, à Andorre ou à Meriadeck, on pense encore à Mercuriales (sur des tours en banlieue parisienne) ou à Sophia-Antipolis (qui se situe dans les Alpes Maritime).
Le nouveau Vernier n’a pas pour titre le nom d’un lieu, mais c’est un endroit qu’il a déjà exploré dans un passé proche. Dans son court Imperial Princess, on suivait déjà l’errance solitaire d’une toute jeune femme russe laissée seule par sa famille à Monaco. Dans son moyen métrage Sapphire Crystal, le réalisateur racontait là aussi la richesse terne d’une jeunesse à Genève. La plupart des films de Vernier ont en commun de capter le merveilleux qui peut être tapi dans des endroits sans identité. Monaco est ici un territoire de fantasmes, qui évoque des images puissantes, c’est une surprise dans le calendrier de l’avent. Mais ce décor de conte est en toc, il n’y a aucune âme dans ce territoire, les appartements semblent hantés et, lorsqu’on repense aux images trafiquées de Dubaï, les lieux rêvés ressemblent avant tout à des illusions.
Virgil Vernier suit son jeune héros durant la période de Noël. C’est un film de Noël, certes pas comme les autres. Un Noël où une nounou serbe rencontrée par Afine espère « plus de lumière, plus d’argent ». Comme souvent chez le cinéaste, il y a une habileté à mettre en scène de manière ultra-sensible de profondes solitudes. C’est la solitude d’enfants de contes : on croise une grand-mère sorcière qui prévient qu’ici, « les enfants vieillissent vite » et ses mots ressemblent à un mauvais sort. On entend des légendes d’oie blanche, il y a une princesse enfermée dans une tour. Le regard attentif de Vernier fait naître une drôle de vibration surnaturelle dans des lieux tristement réalistes et contemporains.
Cent mille milliards est également un film bâti sur des contraires forts et évocateurs : post-apocalyptique et douceur générale, musique du passé et musique contemporaine, avenir de Monaco et son absence d’histoire, magie et détails banals du quotidien. Cette précieuse double lecture donne aux mondes de Vernier une profondeur à la fois présente et transparente. Si ce n’est la réserve que Cent mille milliards a un peu une impression de déjà vu dans la filmographie du cinéaste, le film parvient de manière intrigante à saisir la vérité secrète de ses protagonistes. L’étrange titre est comme une évocation onirique d’une richesse telle qu’elle devient abstraite. Le ciel orange impressionnant est-il tout simplement un coucher de soleil, ou un indice de fin du monde ?
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par Nicolas Bardot