Festival de Locarno | Critique : Bogancloch

Bogancloch est la maison de Jake William, nichée dans une vaste forêt des Highlands d’Écosse. Le film brosse le tableau de la vie de celui-ci au fil des saisons et des personnes qui croisent parfois son chemin solitaire, et croque une vie qui change subtilement dans un monde aux changements radicaux.

Bogancloch
Royaume-Uni, 2024
De Ben Rivers

Durée : 1h26

Sortie : –

Note :

LE REBELLE DE LA FORÊT

Jake Williams est un inconnu. Enfin presque, puisque c’est en réalité la troisième fois que ce quidam se retrouve devant la caméra de Ben Rivers : d’abord dans le court métrage This is My Land en 2007, puis en 2011 dans Two Years at Sea (le premier long métrage de Rivers). Il n’est pas indispensable d’avoir vu ces précédents épisodes pour s’immerger dans Bogancloch puisque, comme souvent dans l’œuvre presque expérimentale du cinéaste britannique, cette inclassable promenade entre documentaire et fiction s’apprécie surtout dès lors que l’on accepte de se passer d’explication trop balisées.

Ni carton, ni intertitre, ni voix off : aucun panneau indicateur ne vient nous guider vers l’entrée principale du film, ou même nous donner quelques miettes de contexte en guise de piste. Dans ce coin reculé d’une forêt écossaise plongée dans un noir et blanc brumeux, nous sommes invités à suivre le quotidien de cet homme mi-berger mi-clochard qui vit, si ce n’est dans la clandestinité, au moins dans une solitude quasi totale. Les seuls moments où Jake n’est pas seul à l’écran ont d’ailleurs l’air moins réels que le reste. Leur mise en scène n’est pourtant pas bien différente, mais l’arrivée de ces dialogues ou fredonnements est si impromptue qu’elle en devient presque surnaturelle.

Jake accomplit plein de petites choses, mais Bogancloch demeure l’un de ces films où on peut dire qu’il ne se passe rien, et dont l’étrange sel réside entièrement dans son atmosphère. En utilisant un matériel vidéo qu’on devine plutôt ancien, Ben Rivers donne à ces images une texture telle qu’elles ont l’air de sortir d’une autre époque. A force de lenteur silencieuse, le cinéaste pousse un peu loin l’exigeant bouchon de la contemplation, comme dans cette scène où Jake finit carrément par s’endormir en plein milieu d’une longue prise. Il se dégage  pourtant de l’ensemble une touchante ambiance post-apocalyptique, comme si on voyait là le dernier humain sur terre, seul face à ses souvenirs. Un détail en or vient percer un instant le strict sérieux du film parmi les vieilles cassettes audio de Jake, les spectateurs observateurs reconnaitront furtivement celle du single Who Do You Think You Are des Spice Girls.

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par Gregory Coutaut

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