Un couple de cinéastes s’installe pour écrire, le temps d’un été, sur l’île suédoise de Fårö, où vécut Bergman. A mesure que leurs scénarios respectifs avancent, et au contact des paysages sauvages de l’île, la frontière entre fiction et réalité se brouille…
Bergman Island
France, 2021
De Mia Hansen-Løve
Durée : 1h52
Sortie : 14/07/2021
Note :
LA VIE DES MARIONNETTES
Bergman Island s’ouvre dans un avion secoué par des turbulences. Chris et Tony sont en route pour l’île de Fårö, où vécut Bergman, mais la première phrase de dialogue du film qui nous prévient (« ça va secouer ») est d’une douce ironie car Bergman Island est au contraire un film solaire. Lorsque nous l’avions rencontrée pour parler de son précédent film tourné en Inde, Mia Hansen-Løve regrettait que la volonté de filmer et exalter la beauté d’un lieu soit trop souvent interprétée comme « une forme de naïveté et de bourgeoisie« . Bergman Island est un film généreux et sans superficialité. Un film pointu mais baigné de limpidité et de lumière, au décor paradisiaque (fait de plages paisibles, de forêts accueillantes et d’averses très passagères), à l’opposé des clichés réducteurs qui collent à l’œuvre du cinéaste suédois.
Bergman est présent partout sur cette île, au grand dam des autochtones et parfois jusqu’à l’absurde (un safari Bergman est proposés aux visiteurs). Il est présent jusque dans le titre de ce nouveau film de Mia Hansen-Løve, mais celle-ci est trop intelligente pour justement se livrer au vain exercice de faire un film « à la Bergman ». Que la référence soit trop écrasante ou trop sacrée importe finalement peu, car au-delà des apparences, Bergman Island n’est pas vraiment non plus un film sur Bergman. C’est l’œuvre d’une des plus brillantes cinéastes françaises d’aujourd’hui, un film dont les échos cinématographiques sont plus contemporains qu’on ne l’imagine.
A peine arrivée, Chris semble douter qu’elle et Tony puissent atteindre leur destination, même en faisant confiance au GPS. Tournant en rond sur leur île, en transit vers nulle part, utilisant leur culture comme bouée de sauvetage, ces personnages semblent faire écho aux émouvants déracinements des films de Joanna Hogg ou Hong Sangsoo. Mia Hansen-Løve reste toujours à la bonne distance, comme si elle respectait le désir illusoire de ses personnages de maitriser leurs apparences. L’ « île de Bergman » a l’air paisible mais ses sables sont mouvants. Le décalage entre entre ce que chacun croit être et ce qu’il est réellement est parfois amusant (comme ce cinéaste dont les films ne ressemblent pas autant à du Bergman qu’il veut le croire), mais la faille peut s’agrandir jusqu’à devenir un vertigineux précipice. Livré à ses désillusions amoureuses, chacun s’y invente un nouveau monde à défaut de maitriser le sien, et le film entier gagne progressivement en richesse narrative.
Scénariste subtile capable de faire naitre, derrière des apparences tout en retenue, des élans poignants et romanesques (grâce aussi à un choix musical inattendu qu’on ne dévoilera pas), Mia Hansen-Løve est également une remarquable directrice d’acteurs. Débarrassés des facilités et artificialités du « jeu qui se voit », ses comédiens paraissent presque neutres. Par un paradoxe magique, la banale complexité de leurs personnages n’en devient que plus poignante. C’est d’ailleurs un soulagement de voir que la cinéaste n’a pas perdu ce talent en dirigeant des acteurs anglophones déjà connus. Vicky Krieps se sort avec de brillantes nuances d’un rôle difficile de godiche un peu trop passive, mais le rôle le plus gratifiant (car le plus immédiatement émouvant) est celui de Mia Wasikowska. Elle est à la fois le personnage le plus fantasmé et le plus libre du film, comme une marionnette qui aurait réussi à s’échapper de son théâtre de poche, laissant les autres dans leurs rôles de tristes démiurges solitaires.
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par Gregory Coutaut