Festival du Film Britannique de Dinard | Critique : Bait

Dans une petite ville côtière, la cohabitation entre des pêcheurs précaires et les touristes de la ville réveille des tensions sociales, jusqu’au drame.

Bait
Royaume-Uni, 2019
De Mark Jenkin

Durée : 1h29

Sortie : –

Note :

MIROIR DÉFORMANT

Un petit village côtier des Cornouailles, ses mouettes, son pub, ses pêcheurs, ses traditions, ses touristes venus de la ville… le décor planté par le réalisateur Mark Jenkin pourrait être une parfaite et charmante carte postale, ainsi qu’une liste d’ingrédients toute prête à devenir un énième film social et réaliste comme les Britanniques savent les faire. Or dès les premiers plans, Jenkin envoie valser très loin ce fameux réalisme. Dans son ton, son montage et surtout son traitement visuel: Bait ne ressemble à rien de ce que l’on voit aujourd’hui, au Royaume-Uni comme ailleurs.

Voir Bait, c’est comme découvrir l’un des premiers films parlants de l’Histoire. Comme s’il s’agissait là d’un film lui-même laissé trop longtemps à l’air du large et qui avait rouillé. Le film se passe à l’époque actuelle mais pourrait tout aussi bien dater d’il y a un siècle. Tournées en noir et blanc et en 16mm, les images du film ont l’air d’avoir été saisies avec la plus vieille caméra du monde. Retravaillées et vieillies artificiellement, elles ont les rayures et les tâches des pellicules d’antan. Les dialogues tous doublés en post-prod rajoutent encore un décalage. Quant au montage, vraiment l’une des qualités les plus saisissantes du film, il a l’air de sortir d’un cours sur l’école soviétique, avec ses très gros plans et ses associations brutales. La moindre partie de pêche ou discussion familiale devient alors un angoissant film noir de poche .

Bait pourrait n’être qu’un exercice de style, un objet un peu vain mais surtout claustrophobe, où le personnages et leurs histoires ne seraient traités que comme de vagues prétextes. Une crainte renforcée par le jeu particulièrement distancié des acteurs. Sauf qu’il y a justement quelque chose de très vibrant qui se trame dans ce récit archétypal d’affrontement familial (chez des cinéastes moins ambitieux, cela pourrait virer à la saga de l’été). Alors même qu’on nage en plein artifice, les gaillard taiseux qu’on croyait monolithiques prennent une profondeur inattendue. Même chose pour les personnages féminins, qu’on avait peur de voir sacrifiés à la périphérie du récit. Comment nait cette émotion? Bien malin qui saura y répondre.

C’est la le tour de magie le plus paradoxal opéré par Mark Jenkin : alors même qu’il vogue très loin des codes classiques du cinéma social britannique, c’est comme s’il en avait emporté en cachette dans son voyage les meilleures qualités. Bait n’est pas un film coupé du monde. C’est un film qui parle de nous, de la vie en communauté, des rapports de classe et de sexe. C’est un geste pictural d’une réjouissante ambition, et alors même qu’il a l’air de sortir d’un autre monde, c’est un film sur ici et maintenant. Un miroir pas si déformant que ça.

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par Gregory Coutaut

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