Ayka vient d’accoucher. Elle ne peut pas se permettre d’avoir un enfant. Elle n’a pas de travail, trop de dettes à rembourser, même pas une chambre à elle. Mais c’est compter sans la nature, qui reprendra ses droits.
Ayka
Kazakhstan, 2018
De Sergey Dvortsevoy
Durée : 1h50
Sortie : 16/01/2019
Note :
JUSQU’EN ENFER
On a découvert le réalisateur Sergey Dvortsevoy il y a dix ans avec le multi-primé Tulpan. Le cinéaste quitte les steppes kazhakes pour l’enfer des rues de Moscou avec Ayka. Et c’est dans l’urgence que débute son nouveau film, avec ce plan sur une curieuse brochette de nouveaux nés balancés dans le monde sur un chariot roulant à toute allure. Ayka est une jeune maman et un autre film aurait chanté les louanges de cette mère courage. Mais Ayka vit dans une situation telle qu’elle ne peut élever son enfant ; le film abandonne net le vernis du portrait de femme digne et sera tout entier dédié à l’indignité dans laquelle son héroïne est obligée de vivre – ou survivre.
Dans Ayka, lors d’un hiver qui semble plus terrible que d’habitude, on voit divers personnages (dont l’héroïne) en train de déblayer une neige qui tombe sans cesse. Plus tard, Ayka doit nettoyer les locaux d’un petit boulot qu’elle a obtenu, les nettoyer et les nettoyer sans cesse car la boue revient toujours. C’est une pure damnation infernale, un rocher de Sisyphe dans ce film qui tourbillonne jusqu’au vertige – à l’image de ces pièces d’un glaçant appartement communautaire qui s’enchainent et s’enchainent comme dans un labyrinthe des enfers. Le résultat ressemble à la rencontre entre les drames désespérés de la Kazakhe Zhanna Issabayeva et les drames de survie du Philippin Brillante Mendoza.
Ayka n’a rien. Elle a un rêve (ouvrir son propre commerce de couture), mais en vrai elle ne possède qu’un rebord de fenêtre – que ses colocataires lui squattent régulièrement. Dvortsevoy décrit un monde dans lequel il ne reste plus rien, vraiment rien pour ses plus faibles – même pas l’empathie. On prend ici davantage soin des chiens mourants que d’une jeune femme dans le besoin – surtout si elle est étrangère en Russie. Samal Yeslyamova, tel un personnage de Thomas Ott, livre une performance hallucinée justement récompensée au dernier Festival de Cannes. Son personnage vit dans l’ombre du monde, à l’ombre de la future et indigne Coupe du monde de football affichée ici et là sur les murs. Et pourtant Sergey Dvortsevoy lui donne toute la place dans ce drame urgent, haletant et poignant.
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par Nicolas Bardot