Critique : La Dernière nuit de Lise Broholm

Campagne danoise, fin du XIXe siècle. Lise, aînée d’une famille luthérienne, rêve d’émancipation. Mais lorsque sa mère est sur le point d’accoucher, la jeune fille voit sa vie basculer en une nuit…

La Dernière nuit de Lise Broholm
Danemark, 2021
De Tea Lindeburg

Durée : 1h26

Sortie : 21/09/2022

Note :

FEMMES AU FOYER

Comme l’indique le titre international de La Dernière nuit de Lise Broholm (As in Heaven), sa protagoniste Lise parait vivre au paradis. Un champs de blé infini entoure son petit village danois, peuplé de rires d’enfants et d’une chaleureuse sororité, comme pour mieux déjouer les clichés du rigorisme protestant. Dans la délicate chaumière familiale, les prières sont accrochées au mur et la Bible est bien sûr dans la table de nuit, mais cela n’empêche pas l’horizon d’être grand ouvert pour elle. A 14 ans, Lise est libre. La sévérité paternelle et l’insistance des garçons ne la tourmentent pas plus que des insectes papillonnants. Lise est autorisée à croquer la vie à pleines dents, autorisée à rêver. Or, les rêves ne doivent pas être pris à la légère, comme prévient un personnage secondaire.

C’est sans doute pour cela que Lise est davantage interrogée qu’authentiquement effrayée par les brèves visions qui lui viennent en songe, malgré les proportions bibliques de ces dernières (un déluge de sang féminin, une mère en flammes – métaphore d’une femme littéralement « au foyer »?). La piste d’une terreur spectaculaire est lancée, mais le film fait le choix étonnant de l’évacuer (la refouler ?) pour suivre son propre petit sentier. La réalisatrice danoise Tea Lindeburg (lire notre entretien), dont c’est ici le tout premier long métrage, déjoue les attentes avec la finesse désarmante de ceux qui savent très bien ce qu’ils font. La Dernière nuit de Lise Broholm est un film aux apparences très simples. Une chronique champêtre presque filmée en temps réel puisqu’elle se déroule sur 24 heures seulement. Une journée et une nuit durant laquelle la mère de l’héroïne va vivre un accouchement difficile. 24 heures dans la vie d’une femme en devenir, car une fois cette journée traversée, Lise va également s’en retrouver transfigurée.

Qu’on ne s’y trompe pourtant pas : la concision d’La Dernière nuit (à peine plus d’1h20) n’entrave ni son ambition, ni sa riche ambiguïté. Elle vient au contraire confirmer qu’aussi accessible qu’il soit, ce drame étrange est plus singulier qu’il n’y parait. Subtil dans sa manière de dépeindre l’absence des hommes dans cet univers domestique, le film l’est également pour mettre en scène les limites de la liberté féminine. Au fil du film et à mesure que gronde un suspens tendu entre les femmes du logis, l’horizon de Lise semble rétrécir au sens propre et figuré. Les intérieurs se font plus sombres et étouffants, et les rêves deviennent de menaçants présages. Comme si la menace ne venait plus d’un éventuel châtiment divin extérieur, mais bien des murs de cette maison/prison. Et si le pire des scénarios de film d’horreur, c’était juste de devenir une mère au foyer ?

A cheval sur les registres, La Dernière nuit de Lise Broholm tresse avec succès les métaphores fantastiques pour nous parler de quelque chose de très contemporain. Voilà l’incroyable tour de passe-passe du film : opérer un si gigantesque retournement dans une forme aux apparences si modestes. Une fois le jour revenu sur cette éprouvante nuit, la caméra de Tea Lindeburg filme à nouveau les mêmes lieux, mais sous un angle différent. L’effet est alors saisissant, tel un retour cinglant et désabusé à la réalité : le champs de blé est devenu un bagne, l’horizon entier est une geôle. Ces femmes ne sont pas au paradis, elle sont en enfer.

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par Gregory Coutaut

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