Festival de San Sebastian | Critique : Anora

Anora, jeune strip-teaseuse de Brooklyn, se transforme en Cendrillon des temps modernes lorsqu’elle rencontre le fils d’un oligarque russe. Sans réfléchir, elle épouse avec enthousiasme son prince charmant ; mais lorsque la nouvelle parvient en Russie, le conte de fées est vite menacé : les parents du jeune homme partent pour New York avec la ferme intention de faire annuler le mariage…

Anora
Etats-unis, 2024
De Sean Baker

Durée : 2h19

Sortie : 30/10/2024

Note :

CONTE DÉFAIT

Las Vegas est-il le lieu le plus adéquat ou au contraire le plus improbable pour un conte de fées ? Probablement les deux à la fois. C’est en tout cas ce qu’a l’air de répondre le cinéaste Sean Baker avec ce récit qui capture comme rarement l’atmosphère de cette ville artificielle à la fois magique et minable. C’est pourtant à New York que débute Anora. L’héroïne qui donne son titre au film est strip-teaseuse dans un club pas trop crasseux de Manhattan. Pas traumatisée pour un sou, elle s’avère très douée pour dire les mots qu’il faut à ses clients et leur faire ouvrir le porte-monnaie. Elle n’a comme qui dirait rien à craindre de ce monde-là puisqu’elle possède une tchatche et une aisance qui mettent à mal tous les beaux parleurs qui l’entourent. C’est elle qui mène sa barque et elle sait où elle va, du moins jusqu’à ce qu’elle rencontre Ivan, une jeune Russe à la fraicheur désarmante.

Sean Baker s’était fait repérer en France en 2015 avec son cinquième long métrage, Tangerine, dont la protagoniste était déjà une travailleuse du sexe qui n’avait aucune intention (ni aucune raison) de s’excuser. Lors de la cérémonie de clôture de Cannes, Sean Baker a d’ailleurs dédié sa Palme d’or aux travailleuses et travailleurs du sexe. Comme toujours chez le cinéaste, la protagoniste va ici se retrouver plongée dans un tourbillon chaotique de mésaventures mi-débiles mi-dangereuses parmi des hors-la-loi hauts en couleurs et attachants. Pourquoi venir chambouler une recette qui continue de faire ses preuves ? Anora manque peut-être de renouvellement, mais ne manque pas de tempo, on y retrouve avec plaisir le délicieux frisson d’urgence qui manquait un peu au précédent film de Baker, Red Rocket.

Baker retrouvera-t-il un jour pour autant la recette parfaite du bâton de dynamite qu’était Tangerine ? Filmé entièrement au téléphone, celui-ci possédait une forme brute, intense et incroyablement proche des personnages, qui collait comme un gant à l’écriture de Baker. Il serait exagéré de dire que le cinéaste s’est embourgeoisé, son cinéma reste sans doute trop du côté des marginaux pour cela. Or, si son écriture demeure toujours incisive, sa mise en image est devenue plus lisse. On aimerait que la forme épouse à nouveau le fond et que la folie des situations se traduise également dans la mise en scène. On aimerait retrouver le vertige de plonger dans ce bain à remous sans bouées de sauvetage. Heureusement, cette frustration n’est pas suffisante pour éclipser les qualités du film.

Outre un scénario généreux en situations jubilatoires, le film peut compter sur une qualité de taille (elle aussi habituelle chez Baker) : un casting en or. Qu’il s’agisse de visages déjà familiers tels que Yura Borisov (vu entre autres dans Compartiment n°6 ou La Fièvre de Petrov) ou de parfaits inconnus qui crèvent l’écran, tout le monde ici mériterait un prix d’interprétation individuel, rien que ça. Toutes et tous sont pour beaucoup dans la double réussite d’Anora : être à la fois hilarant et touchant, sans que l’un n’empêche l’autre.

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par Gregory Coutaut

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