Festival Black Movie | Critique : A Tale of Three Sisters

Dans un village pauvre, au cœur de l’Anatolie. Trois sœurs sont données à des familles d’accueil dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais les choses ne tourneront pas comme prévu.

A Tale of Three Sisters
Turquie, 2019
De Emin Alper

Durée : 1h48

Sortie : –

Note : 

SOEURS SOURIRE

Difficile d’ignorer la référence direct que fait le titre du nouveau film d’Emin Alper à la célèbre pièce de Tchékov – et ce alors même qu’on aimerait bien tordre le cou à la paresse qui fait trop souvent du dramaturge russe la référence couteau-suisse valable de la critique de cinéma d’auteur. Difficile également ne de pas remarquer ce qu’il peut bel et bien y avoir de théâtral dans A Tale of Three Sisters. Une unité de lieu, de temps et d’action, mais aussi d’imposants dialogues quelque peu anachroniques, où il est beaucoup question de classes sociales et du ressentiment qu’il y a à se départir d’un rôle social perçu comme une attribution divine. « On ne peut rien y faire, c’est la volonté de Dieu » dit la toute première ligne de dialogue.

Il y a comme un malentendu qui guette alors le film : n’être vu que comme une régurgitation soignée de thèmes littéraires classiques. La culpabilité et le destin dans une parabole se déroulant comme hors du temps (à quelle époque sommes-nous exactement ?), dans un décor de montagnes éternelles, et mis en scène avec talent (le moindre feu de cheminée est superbe) : sont ici réunis tous les ingrédients de ce qui est censé correspondre à la définition consensuelle d’une « grande œuvre ». Mais c’est aussi à cette définition qu’on voudrait tordre le cou, tant elle est désuète. A Tale of Three Sisters est un grand film, mais pas si classique qu’il en a l’air.

L’indice est pourtant présent dès le titre : on est ici dans un conte, c’est à dire un récit qui comporte une part d’imaginaire. Les précédents films d’Alper empruntaient au cinéma de genre un vrai sens du mystère. C’était notamment le cas de Derrière la colline et sa frontière fantastique. Au détour des conversations, il est ici question de djinns aux visages noirs, de dangers enfouis dans l’obscurité, de scorpion presque immortel. Il y a comme une menace qui pèse sur ces femmes qui sont comme maudites, incapables de quitter leur village et soumises à la volonté des hommes autours d’elle. 

Il y a aussi une respiration inattendue, apportée par des touches d’humour telles qu’on ne retrouve pas du tout dans les films de Ceylan par exemple. Les trois sœurs rêvent elles aussi d’aller voir « derrière la colline », et leur perpétuel retour à la case départ est sisyphéen. Ca a pourtant l’air d’être le meilleur des gags pour leur père, qui ricane d’un air satisfait en refaisant le monde avec ses potes bourrés au raki.  Papa est sûr d’avoir tout compris au monde, et quand son premier réflexe pour chacune de ses erreurs est de blâmer la fatalité et la faute à pas de chance, on a autant envie de rire que de s’arracher les cheveux.

A ces jeunes filles, ce monde-là ne propose rien qui ne ressemble pas à une prison. Mais les hommes sont tout autant prisonniers qu’elles, de leur égo et de leur rôle social.  Sur la drôle de scène de ce village, chacun est contraint de jouer le rôle qui lui a été « divinement » attribué, et quiconque essaierait de s’y soustraire risque la tragédie ou la folie.  Le conte du fermier et ses trois filles est immuable, c’est un récit sans issue. Dans cette ivresse des sommets, même les galipettes ressemblent à des rondes terribles et sans fin.

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par Gregory Coutaut

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