Critique : A pas aveugles

Dans des camps de concentration et d’extermination de la Seconde Guerre mondiale, une poignée de déportés ont risqué leur vie pour prendre des photos clandestines et tenter de documenter l’enfer que les nazis cachaient au monde. En arpentant les vestiges de ces camps, le cinéaste Christophe Cognet recompose les traces de ces hommes et femmes au courage inouï, pour exhumer les circonstances et les histoires de leurs photographies.

A pas aveugles
France, 2021
De Christophe Cognet

Durée : 1h49

Sortie : 15/03/2023

Note :

LES IMAGES MANQUANTES

Les protagonistes de A pas aveugles marchent dans un coin de campagne, et s’arrêtent à un endroit où des cailloux semblent trainer au sol. Mais ce ne sont pas des cailloux : ce sont des fragments d’os qui n’ont pas disparu lors de la crémation de corps dans un camp de concentration de la Seconde Guerre Mondiale. Ces fragments, nous explique t-on, sont comme recrachés par le sol à chaque pluie, et c’est comme si les morts étaient toujours là.

A pas aveugles a bien conscience de l’horreur des camps impossible à représenter. Mais comme ces photos sont là, « il faut les regarder ». Le documentaire s’intéresse à des séries de photos prises clandestinement par des prisonniers, et qui existent encore aujourd’hui. On regarde les négatifs comme des reliques d’autant plus précieuses qu’elles témoignent d’une expérience à l’intérieur. Ce sont des images tout à fait concrètes, des tirages exposés, des photos entre les mains. Mais ce sont des énigmes aussi : où la photo a-t-elle été prise, comment, et que font les personnes photographiées ? Le film émet des hypothèses au fil de cette glaçante archéologie.

Les images d’hier se superposent sur la réalité d’aujourd’hui. Des arbres étaient déjà là, d’autres ont disparu. La végétation dense, tout ce qui a repoussé depuis, empêche parfois de revenir sur les lieux-mêmes. On observe les images dans un silence de recueillement. Ce sont des témoignages essentiels qui ont échappé au contrôle. Parfois, la photo reste à déchiffrer, comme lorsqu’un travail sur le contraste révèle la différence entre les nuages et la fumée du crematorium. Ce qu’on voit est évidemment effroyable, ce qu’on voit est aussi un acte de résistance. Plus encore que la réalité capturée de l’intérieur, le film illustre comment la reprise du contrôle de l’image par les prisonniers, photographiant d’autres prisonniers, constitue un acte de résistance.

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par Nicolas Bardot

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