Locaux misérables, docteurs péremptoires, internement parfois politique : de janvier à avril 2013, Wang Bing a filmé le quotidien d’un hôpital psychiatrique de la province du Yunnan. Dans cet espace où le seul air vient d’une cour hors d’atteinte car bordée de barreaux, le lit fait office de radeau – “les gens comme nous ne peuvent s’offrir que le sommeil”, remarque un résident. En restant au plus près des patients qu’il identifie par leur nom, le cinéaste déchiffre leur mode de (sur)vie, réinjectant de l’individuel dans ce que l’institution s’entête à priver de sens.
A la folie
Chine, 2014
De Wang Bing
Durée : 3h47
Sortie : 11/03/2015
Note :
MAISON DE FOUS
Il y a quelques années, Wang Bing tournait sa première fiction avec Le Fossé dans lequel ses personnages privés de dignité sont transformés en animaux rampant dans des trous. Il n’y a pas beaucoup plus de dignité dans le traitement réservé aux hommes internés dans l’hôpital psychiatrique que le cinéaste a filmé pendant trois mois en 2013. Et il n’y a qu’un pas entre l’enfer industriel d’A l’ouest des rails, l’enfer désertique du Fossé et l’enfer carcéral d’A la folie. La déshumanisation à l’œuvre dans le documentaire-monstre A l’ouest des rails trouve ici un équivalent dans un hôpital psychiatrique où sont indistinctement internés fous, meurtriers et dépressifs. Puisque les autorités les mélangent tous, le cinéaste ne fera pas plus de distinctions : des hommes filmés, on ne saura que le nom et la durée d’internement.
Après les 9 heures d’A l’ouest des rails ou encore les 3 heures de Fengming, chronique d’une femme chinoise (composées pour ce dernier doc d’une dizaine de plans seulement), Wang Bing observe tout aussi minutieusement, pendant près de 4 heures arides, le quotidien de cet hôpital dont les employés semblent quasi-invisibles. Wang suit les déambulations nocturnes, est réveillé par des cris en pleine nuit dans ce taudis de fer qui ressemble à des pissotières géantes. « Je ne suis pas fou, sortez-moi de là », hurle un nouveau venu accroché aux barreaux comme seul horizon hors des cellules. Quelques rares moments de tendresse jaillissent : un couple qui se retrouve en étant séparé par une grille, deux internés qui s’enlacent dans un lit, l’un se reposant plus tard sur l’épaule de l’autre tandis qu’ils discutent. Ce sont des exceptions, tant le cinéaste nous donne à voir des existences vidées de toute trace d’humanité, des coquilles vides qui errent dans les limbes. Une femme vient voir son époux désespéré, celle-ci lance des regards malicieux à la caméra en n’imaginant même pas qu’on puisse avoir un rien d’empathie pour ce fou qu’elle vient visiter.
Lors d’une des scènes les plus saisissantes d’A la folie, un homme est appelé par une prisonnière, dans la cour. « Viens me baiser ! » lui hurle t-elle, tandis que résonnent les vibrations d’un feu d’artifice lancé hors de l’hôpital. Ce basculement surréaliste apporte un peu de vie dans cette prison comme elle suggère la vie qui se poursuit derrière les grilles. Pourtant, lorsque Wang Bing suit un homme rentrant chez lui, le sentiment de libération ne semble durer qu’un temps et déjà le quotidien s’érige comme une nouvelle prison pour fous. Ce n’est pas tant la folie des hommes qui intéresse Wang Bing que la folie d’un lieu qui pousse à la démence, là où les autorités semblent s’attendre à ce que ces gens se taisent et dorment – en prison comme hors de ses murs.
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par Nicolas Bardot