Marina Abramovic invite le public à participer à son exposition phare « 512 Hours ».
512 Hours
Royaume-Uni, 2021
De Adina Istrate & Giannina La Salvia
Durée : 1h30
Sortie : –
Note :
ENTER THE VOID
512 Hours n’est pas le premier documentaire consacré à la monumentale Marina Abramovic. Sa notoriété rare en dehors du monde de l’art contemporain, l’échelle spectaculaire de ses œuvres, son parcours étonnant (de sa vie en camping-car en Serbie jusqu’à ses collaborations avec Lady Gaga) en font une figure unique, magnétique et incontournable du paysage culturel contemporain. Son œuvre sans doute la plus connue, The Artist is Present (dans laquelle elle restait assise, immobile et muette face au public du Moma) avait d’ailleurs donné lieu à un documentaire du même nom, sorti en France. Ce dernier se heurtait hélas à un mur paradoxal : l’impossibilité de filmer ce qui se trame d’invisible entre un artiste de performance et son public. L’impossibilité pour la caméra de trouver une place juste dans cette échange impénétrable.
En 2014, Marina Abramovic fut invitée par la Serpentine Gallery de Londres à renouveler l’expérience de The Artist is Present. Abramovic, qui à travers son œuvre cultive depuis des décennies l’inconfort (même, surtout, physique), n’allait pas se contenter d’une redite. Poussant le bouchon conceptuel encore plus loin : elle décide de présenter 512 Hours, une œuvre basée sur… rien. Pendant 512 heures, des groupes de visiteurs était invités à pénétrer dans une pièce vide et silencieuse puis, en compagnie de l’artiste, à « plonger en eux-mêmes ». Qu’allait-il se passer ? Dans les images de coulisses montrées ici, l’artiste elle-même semble surfer avec ivresse sur cette terrifiante question. Avec humilité et un humour conscient de ses allures mégalomanes, Abramovic confie que ce saut dans le vide sans garde-fou est son projet le plus radical, et qu’il lui a demandé 25 ans de courage.
Ce qui attendait les deux réalisatrices de 512 Hours, c’est le même mur cité plus haut. Comment filmer « l’état d’esprit sans penser » au cœur de cette œuvre? Les images inédites (les visiteurs avaient interdiction de filmer) documentent certes, mais elles pourraient tout aussi bien avoir été filmées dans un asile de fou ou de grappes de gens errent comme en hypnose. Conscient de cette limite (le film n’a pas peur d’évoquer l’absurdité apparente du projet), 512 finit par prendre le bon virage. Et si le meilleur moyen de filmer une performance, c’était de filmer ailleurs ? De filmer après ? Face à la caméra, différents visiteurs viennent exprimer à posteriori ce qu’ils ont vécu dans cette pièce vide. Bien vu, car cette séquence elle-même particulièrement sobre (sur fond blanc, sans accompagnement) est paradoxalement la plus riche du film.
Le temps de cette séquence, le public a la seule parole. Certains sont spécialistes, mais la plupart sont néophytes (soit dit en passant : enfin un film qui montre que l’art contemporain peut toucher tout le monde, les comédies françaises pourraient en prendre de la graine). Certains font part de leur scepticisme, mais la plupart expriment leur fascination. Pourtant il ne s’agit pas que d’un livre d’or filmé. Parce que l’œuvre 512 Hours c’est ça : une expérience collective, intime, charnelle. Dans le domaine artistique de la performance, le corps EST l’œuvre. Le temps de cette séquence vertigineuse, le film montre alors l’œuvre en train de vivre et se dérouler sans l’artiste : the artist… is absent.
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par Gregory Coutaut