Berlinale | Critique : Blue Moon

1943. Le légendaire parolier Lorenz Hart se confronte à son propre avenir, alors que sa vie professionnelle et sa vie privée s’effondrent lors de la soirée d’ouverture du spectacle à succès de son ancien partenaire Richard Rodgers, « Oklahoma ! ».

Blue Moon
États-Unis, 2025
De Richard Linklater

Durée : 1h40

Sortie : –

Note :

D’AMOUR OU D’AMITIÉ

Y a-t-il déjà eu un personnage queer dans un film de Richard Linklater ? Probablement, ne serait-ce que statistiquement, et peut être que Everybody Wants Some !! pourrait même éventuellement être interprété comme crypto-gay mais le cinéaste américain est tellement devenu au fil des années et de ses films sympathiques le symbole d’une culture hétéro masculine cool et un champion pour cinéphiles-bros que le protagoniste de Blue Moon donne l’impression d’arriver (enfin) come le plus inattendu des invités. Ce dernier est non seulement auteur de comédies musicales pour la scène, il est bisexuel et ne perd pas une occasion de le rappeler aux autres personnages et au public par la même occasion, allant même jusqu’à évoquer une bite sucée. On peut déjà être reconnaissant à Linklater de ne pas avoir gommé cet aspect-là de la vie de Lorenz Hart qui a bel et bien existé. Après tout, il ne s’agit pas vraiment là du sujet du film.

Blue Moon raconte en temps réel ce qui se joue entre Hart et les autres dans un bar à la suite d’une représentation. Unité de temps et de lieu installent vite les tréteaux un peu rigides d’une comédie théâtrale bavarde au confort familier mais dont on pressent que la caméra ne va pas avoir l’opportunité d’aller très loin, et le film peut-être pas davantage. Avait-on déjà vu Ethan Hawke jouer un rôle vraiment comique ? Ce dernier se démène avec allant pour injecter du rythme et camper ce clown de comptoir. C’est pourtant une tragédie intérieure qui se joue pour Hart, contraint d’assister amèrement au triomphe de son ancien collaborateur parti voler de ses propres ailes. Mais les mecs restent rarement rivaux chez Linklater, le scénario de Blue Moon est au contraire tissé de chaleureuses connivences masculines faites de blagues désabusées ou confessions alcoolisés et dont les personnages féminins (de toute façon rares) sont exclus. Un autre drame attend Hart et c’est ce dernier qui va prendre finalement toute la place dans le film : va t-il réussir à séduire une jeune femme d’une vingtaine d’années, qui de toute évidence ne le considère que comme un ami ?

C’est le moment où on est tenté de ravaler les remerciements évoqués plus haut. Pour une fois que Linklater a un protagoniste queer, le récit consiste à savoir s’il va réussir à baiser une fille ? L’ironie ne manque pas de sel, mais il y a de quoi être davantage frustré encore. La veille de la première mondiale de Blue Moon en compétition à la Berlinale, le président du jury Todd Haynes donnait une masterclass où il évoquait entre autres son admiration pour Douglas Sirk. Ce dernier, disait-il, n’était pas queer mais ses films sont pourtant remplis de queer gaze de par leur manière de traiter comme d’une illusion les schémas amoureux hétéros classiques et de toujours voiler de tristesse les dénouements heureux pour ses personnages en couple. Le héros de Blue Moon a beau être queer, les schémas hétéros sont au contraire très, très respectés, ils ne sont pas même regardés sous un regard différent de d’habitude. Ce sont même eux qui sont longuement mis en avant, au détriment progressif et épuisant de tout autre sujet de conversation. Blue Moon se présente comme un film sur l’amitié, on dirait plutôt juste un film sur la peur d’être mis dans la friendzone.

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par Gregory Coutaut

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