Ce film retrace les attentats d’Utoya, en Norvège, lorsque le terroriste d’extrême droite Anders Behring Breivik avait fait 77 morts à Oslo et sur l’ile d’Utoya en 2011. C’est justement sur l’ile norvégienne que se déroule le film. Plongés dans la peau de Kaya, militante des jeunesses travaillistes, les spectateurs vivent de l’intérieur l’interminable horreur telle qu’ont pu la vivre les nombreux militants prisonniers sur l’ile d’Utoya.
Utoya, 22 juillet
Norvège, 2018
De Erik Poppe
Durée : 1h33
Sortie : 12/12/2018
Note :
LE VISAGE
« Comment ne pas se laisser définir par un événement traumatisant ? Comment ne pas se laisser figer par celui-ci ? » : ce sont les questions délicates que posait l’an passé le roman du Norvégien Eivind Hofstad Evjemo, Vous n’êtes pas venus au monde pour rester seuls. Ce livre partait du traumatisme de l’attaque terroriste commise par Anders Behring Breivik pour proposer une réflexion sur le deuil et sur la survie. Le projet d’Erik Poppe avec Utoya, 22 juillet est un peu différent puisque le film ne traite pas de l’après mais du pendant. La question, pourtant, reste la même. Quelle distance prendre sur un tel témoignage ? Comment ne pas transformer le témoignage en spectacle ? Quel recul la fiction permet-elle de prendre sur le réel ?
Les premiers plans de Utoya, 22 juillet sont absolument réalistes : ce sont des images de caméra surveillance filmant une explosion à la bombe qui vise des édifices gouvernementaux. La démarche de Poppe n’est pourtant pas celle d’un Paul Greengrass. On prend un peu peur lorsque l’héroïne apparaît à l’écran, s’adressant au public pour lui affirmer : « vous ne pourrez jamais comprendre « . Mais ce qu’on croit être du didactisme est en fait un leurre : la jeune fille tourne la tête, on découvre qu’elle parle à ses parents au téléphone. Pourtant, sa phrase reste: « vous ne pourrez jamais comprendre« .
Car Utoya, 22 juillet ne s’intéresse pas au pourquoi, à l’image du mystère entourant Elephant de Gus Van Sant. Il ne se penche pas sur le comment, et le terroriste n’apparaît d’ailleurs quasiment jamais à l’écran (c’était l’un des risques de ce type de récit, mais il n’y a ici aucune fascination macabre pour le tueur). La tuerie d’Anders Breivik a fait connaître un visage et un nom, tout en plongeant dans l’obscurité une centaine de victimes. De la tragédie survenue il y a bientôt 7 ans, une bonne partie du monde n’a retenu que la voix de l’agresseur. La pertinence de Utoya, 22 juillet c’est, alors que l’extrême-droite gagne en importance dans tout le continent, de ne pas réduire les victimes du drame à un nombre, à une statistique.
Le film se déroule parmi ces jeunes gens, en particulier auprès d’une jeune fille. Il leur donne une voix, littéralement : en rires, en chanson, en désirs. Que feras-tu après ? Quel est ton nom ? Nous les suivons, ici et maintenant, avec une démarche de brutale honnêteté. Le film refuse tout ce qui pourrait être en trop cinématographiquement – et moralement : les flashbacks, des inserts de parents inquiets, des flashs télévisés et par-dessus tout le montage. C’est l’un des paris incroyables – et relevés – du film, qui est entièrement filmé en un plan séquence.
Ce plan séquence soulève une autre question : comment ne pas transformer cette tragédie en spectacle palpitant ? C’est là qu’interviennent les choix narratifs précédemment exposés, sur l’épure quant à toute trace de mélodrame. C’est là aussi qu’interviennent les qualités d’écriture et d’interprétation. Nous reprochions à Jusqu’à la garde de transformer le drame réel des violences domestiques en suspens horrifique. La différence fondamentale entre les deux films, c’est que Jusqu’à la garde est construit non pas sur son personnage de victime mais sur celui de l’agresseur. Utoya, 22 juillet fait le chemin inverse. Si la tension est inhérente au sujet terrible, si le plan séquence fait corps avec l’urgence vécue par les protagonistes, le film apporte le point de vue correct car son héroïne existe, est nuancée, occupe tout le temps l’écran, et qu’elle n’est pas que le jouet d’un suspens réductible à ses vertus spectaculaires.
C’est la démarche de Utoya, 22 juillet : rappeler l’horreur en premier lieu certes, la menace extrémiste également, mais aussi donner un visage à ses victimes. C’est une démarche politique et esthétique qui ne manquera pas de faire débat. Mais le résultat, formellement incroyable, est absolument tétanisant. Tétanisant car le travail du directeur de la photographie est certes prodigieux, mais aussi parce que le cœur de son héroïne bat. Que le fait divers, à partir du moment où il est raconté, devient une histoire. Et que celle-ci est portée par une jeune actrice prodigieuse, courant dans cette île damnée et de plus en plus fantomatique, jeune femme mature et jeune fille en pleurs dans ce récit d’une urgence bouleversante.
par Nicolas Bardot