Festival de Côté Court | Entretien avec Róisín Burns

Tout juste dévoilé en compétition au dernier Festival de Cannes dans le cadre de la Semaine de la Critique, Wonderwall de la Britannique Róisín Burns est montré cette semaine au Festival Côté Court. Ce court métrage fait le récit d’apprentissage de Siobhan, une fillette qui vit dans un quartier populaire de Liverpool, dans les années 90, alors que la concurrence entre Blur et Oasis est à son sommet. A partir de motifs d’abord archétypaux, le film trouve son surprenant chemin tandis que la lumière décline sur la ville et que le monde de Siobhan semble changer. D’une sensible intimité, finement politique, Wonderwall est une réussite qui signale Róisín Burns comme une réalisatrice à suivre.


Quel a été le point de départ de Wonderwall ?

Je me suis auto-exilée en France après une enfance chaotique. Un jour, j’avais envie de retourner dans le quartier de mon enfance pour la première fois depuis de nombreuses années mais une fois sur place, j’ai découvert qu’il a été complètement rasé. Ça a été d’une grande violence. J’ai perdu ma mère jeune et quand je pense à elle, je l’associe vraiment à ces rues. C’était comme si tout un pan de mon enfance s’en était allé sans laisser de trace. J’ai alors eu envie de ressusciter ce quartier où j’ai grandi dans les années 90, son atmosphère, ses gens. J’ai commencé à noter certains de mes souvenirs les plus marquants et une histoire a pris forme peu à peu.



La ville joue en effet un rôle important dans la narration, pouvez-vous nous parler de cet élément en particulier et de la manière dont vous avez souhaité filmer Liverpool ?

En revenant là, tous mes souvenirs remontaient à la surface – des choses drôles et moins drôles. J’ai été frappée par mon regard neuf sur cette ville, comme si je redevenais enfant et la redécouvrait pour la première fois. Je la voyais de nouveau comme un terrain de jeu plutôt qu’un endroit d’où il fallait s’échapper à tout prix. J’avais beaucoup de liberté en grandissant et pendant les weekends et les vacances, je trainais dans la ville à longueur de journée avec mon grand frère et notre bande de potes. On était au moins 10-15 gosses à trainer sur nos vélos, à inventer toutes sortes de jeux, à explorer les recoins secrets de la ville. Liverpool est une ville assez stigmatisée par le reste du pays, mais je la connais comme ma poche et j’ai beaucoup d’amour pour elle. C’est là où j’ai vécu mes premiers émois, où mon imaginaire s’est constitué. Chaque décor dans le film a une signification secrète pour moi et j’aime penser que cette attention portée aux lieux se ressent dans le film d’une manière ou une autre.

Dans le regard grossissant et déformant de l’enfance, rencontres et micro-détails prennent des proportions épiques ou effrayantes, certaines choses nous échappent. C’est pourquoi je voulais laisser une place à des éléments plus mystérieux ou merveilleux dans le film, que le spectateur devrait ressentir plutôt que comprendre à l’instar de Siobhan. Ce n’est pas parce qu’on grandit dans un endroit défavorisé que tout se réduit à la misère économique. Cela n’empêche pas les gens de rêver, désirer, délirer les paysages qui leur entourent. Et Liverpool est vraiment rempli de personnages hauts en couleur qui adorent raconter histoires et blagues à qui veut les entendre – dans les pubs, les abribus, les queues de taxis… Je ne voulais pas non plus que cet onirisme soit traité de manière esthétisante mais plutôt qu’il semble émaner des lieux eux-mêmes. Ces paysages en ruines charrient une poésie brute, quelque chose de l’ordre du conte.



Le personnage principal de votre film est une fillette et celle-ci est plongée dans un monde très masculin, qui va de ses petits camarades aux groupes de mecs à la télé. Qu’est-ce que cela évoquait pour vous, de composer un récit d’apprentissage féminin dans un milieu si peu féminin ?

Comme je disais, le film est pas mal autobiographique et j’écrivais toutes les scènes avec la bande à partir de mes souvenirs d’enfance. Mais Liverpool est une ville dont l’imaginaire populaire est toujours dominé par les hommes – des joueurs du foot, aux rock stars en passant par les militants politiques. Petite, je trainais avec les garçons car c’était eux qui semblaient avoir le droit de vivre de grandes aventures, à devenir des héros, et je voulais ça pour moi aussi. Wonderwall est un récit d’émancipation, la petite protagoniste Siobhan va fuir le regard de son frère et vivre une aventure solitaire. Au cours de son errance nocturne, son regard à elle se libère et elle découvre la ville avec des yeux nouveaux, comme si elle en comprenait sa vérité profonde sans pouvoir la formuler. Elle s’est débrouillée toute seule et a survécu toute une nuit dehors. Les mots et les histoires sont une force : au début du film c’est Rory que l’on écoute et regarde avec admiration mais à la fin du film, c’est au tour de Siobhan se trouver soudain détentrice de ce pouvoir.



La rivalité Blur/Oasis qui est au cœur du film peut sembler anecdotique, surtout 30 ans plus tard. Qu’est-ce qu’elle révèle de plus grand à vos yeux ?

La lutte des classes est vraiment au cœur de la société britannique, on ne peut pas y échapper. Elle est renforcée par la division Nord/Sud où le nord est vraiment vu comme étant pauvre et arriéré. La bataille de la Britpop était tout simplement la traduction médiatique de cela. Historiquement en Angleterre, la musique et le foot sont parmi les deux seules voies de sortie pour les jeunes face à un déterminisme social écrasant. C’est pour cela que les sous-cultures de jeunesse y ont une si grande importance, tout comme les affrontements de figures qu’ils occasionnent comme The Beatles versus The Rolling Stones ou les Mods versus Rockers avant cela.

Mais c’est important de contextualiser et de dire à quel point la représentation de la classe ouvrière dans les médias mainstream était nulle dans les années 90 après plus de quinze ans de Margaret Thatcher. La confiance des prolétaires était en ruine quand soudain, Liam Gallagher arrive de nulle part avec son swag, sa grande gueule, son accent du nord. On s’identifiait si fortement à lui, il incarnait notre rage, il était notre revanche contre les bourges. Il n’y avait pas d’équivalent féminin à l’époque, il fallait attendre quelques années de plus avec l’arrivée des Spice Girls… Mais je voulais créer un écho entre cette bataille musicale et la dernière grande lutte des dockers qui avait lieu au même moment chez moi. On sait aujourd’hui à quel point les années 90 furent charnière dans leur défaite. Dans le film, ces hommes engloutis par la Mersey sont une sorte de traduction poétique, une image mélancolique de la disparition du monde ouvrier.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Avec la productrice et le chef op du film, je parlais beaucoup de De Bruit et de fureur de Jean-Claude Brisseau, qui a su filmer la banlieue avec beaucoup de beauté et dans toute sa violence sans avoir peur d’aller vers le fantastique. Les couleurs de ce film sont stupéfiantes et je savais que je voulais travailler des cadrages fixes et la composition pour vraiment inscrire mes personnages dans le paysage. Le cinéaste anglais que j’admire le plus est Alan Clarke et pour l’errance nocturne de Siobhan, on parlait pas mal de Christine. C’est un des cinéastes qui a su le mieux filmer des personnages en mouvement, animés par leurs affects et leur environnement. Cette figure de personnages jeunes, qui marchent envers et contre tout, raconte toujours quelque chose de puissant sur ces vies opprimées par des forces invisibles, qui les dépassent. Aussi, Mes petites amoureuses de Jean Eustache m’a profondément marquée. J’aime comment le film se construit par ellipses, autour d’une suite d’impressions très fortes et comment ces rencontres et instants impriment la rétine et deviennent fondateurs pour le protagoniste. Le récit est troué, garde sa part d’énigmes à l’image de nos souvenirs d’enfance.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 3 juin 2025. Crédit portrait : Aurélie Lamachère.

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