Festival de Cannes | Critique : Sirāt

Un père et son fils parviennent à une rave perdue au cœur des montagnes du sud du Maroc. Ils cherchent Mar — fille et sœur — disparue depuis plusieurs mois lors de l’une de ces fêtes sans fin. Plongés dans la musique électronique et une liberté brute qui leur est étrangère, ils distribuent inlassablement sa photo. L’espoir s’amenuise, mais ils s’obstinent et suivent un groupe de ravers vers une dernière fête dans le désert. À mesure qu’ils s’enfoncent dans l’immensité brûlante, le voyage les confronte à leurs propres limites.

Sirāt
Espagne, 2025
De Oliver Laxe

Durée : 2h00

Sortie : 03/09/2025

Note :

LES DÉSERTEURS

L’expression dit « chercher quelqu’un dans une botte de foin », mais qu’est-ce qui est le plus fou : chercher à retrouver quelqu’un au milieu d’une rave, ou bien en plein désert ? Accompagné de son jeune fils, Luis (Sergi Lopez) accomplit ces deux tâches impossibles en même temps. Alors qu’un immense groupe de punks à chien installe des amplis non moins immenses en plein désert (première vision stupéfiante dans un film qui les collectionne), ce duo pas du tout à sa place traverse la foule en distribuant des tracts à l’effigie d’une ado disparue. La fille de Luis. Un espoir fou le rend convaincu qu’il est sur la bonne piste après des mois de recherche : elle ne peut plus être bien loin, puisque ce désert semble être la limite du monde humain. La radio le confirme d’ailleurs : « le monde tel que nous le connaissons vient de changer ». Loin de cette transe collective, la terre continue apparemment de tourner (mal), un conflit armé est annoncé comme s’approchant rapidement de ce coin du désert. Luis et son fils, si près d’atteindre leur graal, doivent-ils se préparer à être évacués ? Ils se rapprochent d’un groupe de marginaux qui se sentent appelés par l’immensité de sable autour d’eux.

Qualifier Sirāt de road trip serait choisir une appellation bien trop terre à terre pour ce voyage halluciné. Il se déroule pourtant intégralement sur la route, dans des camionnettes lancées à vive allure sur la route de rien, et ses personnages sont bel et bien en quête de quelque chose, mais ce quelque chose n’est pas toujours tangible. Si Sirāt est un road trip, il l’est au sens du trip provoqué par certaines drogues. Le film tire son titre du nom d’un pont mythologique et dangereux qui permettrait de passer de l’enfer au paradis. Avec cette annonce placée en carton d’ouverture, le film annonce la couleur ou plutôt l’échelle de son ambition. Ambition confirmée dès les premières images de rayons laser sur des rochers démesurés, ou l’œil expérimente déjà la vertigineuse perte de repères de ne pas immédiatement saisir ce qui s’offre à lui.

Difficile d’analyser exactement par quel magie le cinéaste Franco-Espagnol Oliver Laxe nous entraîne vers de tels sommets, mais la question de l’échelle est effectivement centrale. Dans la mise en scène comme dans l’écriture, Laxe parvient à combiner et confronter différentes échelles avec des éclats et une grâce qui laissent plus d’une fois pantois. C’est à la fois juste l’histoire d’une poignée de camionnettes qui roulent dans le sable, et c’est aussi une parabole colossale sur notre manière d’appartenir au monde, sur le fantasme irréalisable de vouloir se couper du reste de la planète, de devenir le plus ultime des déserteurs et ne jamais être rattrapé par la réalité. Tantôt halluciné tantôt crève-cœur, Sirāt est un voyage unique à ne pas manquer.

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par Gregory Coutaut

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