Festival de Cannes | Entretien avec Eva Lusbaronian

Dévoilé en première mondiale à la Quinzaine des Cinéastes, La Mort du poisson est un court métrage d’animation réalisé par la Française Eva Lusbaronian. Une mère, une fille dans un bois mystérieux. Avec ambition et minimalisme, Eva Lusbaronian met en scène la tristesse, l’inquiétude, le mystère et le non-dit dans ce beau court métrage qui se sert avec une grâce captivante de la danse comme moyen d’expression secret et codé. La réalisatrice est notre invitée.


Quel a été le point de départ de La Mort du poisson ?

Je crois qu’il s’agit d’un besoin d’écrire, ou de créer à partir d’émotions devenues difficiles à contenir.
Ce film a été le réceptacle d’événements intimes et familiaux, dont je n’avais pas envie de parler frontalement. Je voulais mettre en scène un spectacle poétique questionnant la dépression et la difficulté d’aider.



Pouvez-vous nous parler de votre utilisation de la danse comme moyen d’expression dans votre court métrage ?

J’ai très vite imaginé ce court-métrage comme une sorte de ballet animé. Cette forme me permettait de rester dans la métaphore et le divertissement, sans que mon propos ne devienne trop personnel. Je suis fascinée par l’œuvre de Pina Bausch, qui parvient à décrire la dureté des relations humaines avec humour et finesse. Son travail a constitué une grande source d’inspiration pour la mise en forme de mon projet. J’ai donc dessiné une succession de tableaux dansés , en alternance avec des scènes d’interactions muettes entre les personnages. J’avais en tête les codes de la danse-théâtre. Le geste était aussi un moyen de suppléer l’absence de dialogues ; la parole me paraissait presque trop prosaïque. Le mouvement devait être suffisamment signifiant pour rendre intelligible les émotions des protagonistes. Mais il conservait cette part d’énigme qui permet à chacun de l’interpréter comme il le souhaite.

J’ai eu la chance inouïe de pouvoir collaborer avec Rainer Behr, Ditta Miranda Jasjfi et Julie Shanahan, danseur et danseuses du Tanztheater Wuppertal, pour concevoir les chorégraphies de La Mort du poisson. Ditta et Julie ont incarné la Mère et la Fille pour faire naître cette forme de communication non-verbale, tout en créant une gestuelle et un rythme propres à chaque personnage.



Le décor dans La Mort du poisson est très évocateur, pouvez-vous nous en dire davantage sur cet élément en particulier de votre film ?

Il y avait beaucoup à raconter sur un temps assez réduit ; je me suis aidée du décor pour montrer ce qui ne pouvait pas être dit. La mise en scène s’y prêtait bien, puisqu’elle s’inspirait du spectacle vivant avec des plans assez longs et un cadrage souvent frontal. Aussi, l’environnement avait un rôle important au sein même du scénario. L’étang est une sorte de miroir déformant, l’endroit au sein duquel la dépression de la Mère se cristallise. Chaque lieu inspire un certain type de comportement et d’émotion dans le film ; mais les personnages peuvent choisir de se positionner différemment au sein de ces espaces. Il y a quelque chose d’à la fois banal et spectaculaire dans la nature ; son caractère cyclique et changeant invite à accepter la perte pour se remettre en mouvement. Le cadre de ce court métrage contient en lui-même toute l’histoire.



Il y a un minimalisme et une retenue dans La Mort du poisson qui nourrissent le mystère de ce récit. Est-ce que le mystère et l’indicible constituaient l’un des moteurs narratifs de votre court métrage ?

Oui ; j’ai envisagé ce projet sous une forme assez métaphorique pour aborder des problématiques qui me touchaient, sans les expliquer ni les décrire. Je voulais que la danse transmette un certain nombre d’émotions et que l’ensemble suggère des pistes de réflexion, pour que chacun puisse projeter un peu de sa propre histoire dans ce film.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Difficile à dire car il y en a tellement…J’ai évidemment en tête Wim Wenders, mais aussi le travail incroyablement sensible d’Alice Rohrwacher. Les films de Pedro Almodóvar m’ont beaucoup marquée et me touchent toujours autant. Je dois aussi citer Wes Anderson dont j’affectionne particulièrement la mise en scène. Je suis très inspirée par le cinéma japonais, notamment : The Taste of Tea de Katsuhito Ishii ou les films de Yasujirô Ozu que j’ai beaucoup regardés pendant la production de La Mort du poisson. Je pense également au cinéma coréen car je suis souvent bouleversée par les scénarios de Bong Joon-ho. J’aime énormément l’œuvre de Miloš Forman, notamment Taking Off, celle de Ruben Östlund avec, entre autres, Snow Therapy. Tout cela m’évoque aussi Festen de Thomas Vinterberg ; en fait, beaucoup de films parlant de thématiques familiales. Si je me concentre sur l’animation, il me vient à l’esprit Caroline Cherrier, Jean-Charles Mbotti Malolo, Lucrèce Andreae, Emma De Swaef, sans oublier Hayao Miyazaki, Isao Takahata et Satoshi Kon car ce serait mentir que de ne pas les nommer.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 4 mai 2025. Un grand merci à Luce Grosjean.

| Suivez Le Polyester sur BlueskyFacebook et Instagram ! |

Partagez cet article