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Présenté dans l’excellente compétition courts métrages de la Berlinale, Mother’s Child de la Néerlandaise Naomi Noir raconte l’enfer bureaucratique dans lequel se débat une mère dont le fils est en situation de handicap. Porté par une animation surprenante et anguleuse dont les silhouettes dramatiques évoquent Egon Schiele, Mother’s Child est une merveille surréaliste et profondément humaine. Nous avons rencontré sa réalisatrice.
Quel a été le point de départ de Mother’s Child ?
Mother’s Child est un film de fiction qui s’inspire de mes expériences de jeunesse avec mon frère nécessitant des besoins spéciaux et qui, comme Murphy, a besoin de soins 24 heures sur 24. Tout comme Mary, le travail de ma mère ne s’arrête jamais. Le sujet me touche donc de près.
J’ai ressenti cette urgence de partager le monde avec lequel j’ai grandi, le monde que l’on ne voit généralement que dans l’intimité des quatre murs d’une maison. J’ai grandi avec ma mère qui devait constamment appeler diverses institutions afin de protéger les droits de mon frère ou simplement pour expliquer, encore et encore, sa condition. Les établissements de santé et les institutions gouvernementales posent constamment les mêmes questions et remettent en doute tout ce que vous dites. C’est déshumanisant, de devoir déterrer les difficultés de votre vie quotidienne et de vous épancher face aux documents et aux appels téléphoniques interminables. Les questions les plus obtuses sont posées. Il y a tellement d’idées fausses venant de l’extérieur, mais aussi d’amis.
Pour créer une séparation entre mes propres expériences et l’histoire de Mother’s Child, nous avons choisi un cadre différent de celui dans lequel j’ai grandi. Le film suit la vie d’une mère et de son enfant adulte en Angleterre, alors que j’ai grandi aux Pays-Bas. Cette séparation géographique m’a vraiment aidée à construire l’histoire, à me concentrer sur le personnage et à voir comment le public pourrait le voir de temps en temps. C’est une histoire que j’ai construite avec l’incroyable Maya Devincenzi Dil, qui joue également le rôle de Mary. Maya vient de Londres, elle a donc « anglicisé » le scénario. Quand on fait un film, il y a cet équilibre délicat à maintenir : quand tenir la main du public et lui montrer ce que l’on veut qu’il voie, et quand le laisser découvrir les choses par lui-même.
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Le style visuel de votre film est incroyable, avec ces visages anguleux qui sont très expressifs et qui m’ont fait penser à Egon Schiele. Comment avez-vous abordé le style visuel que vous avez utilisé pour raconter cette histoire ?
Merci, c’est un grand compliment. Le travail d’animation 2D du film est une collaboration entre mes dessins au trait, mélangés au travail des artistes Lenke Duyvendak, Elisa Draeger et Lilien Galgóczi qui s’occupent des couleurs et de la texture. Lenke a réalisé les magnifiques arrière-plans 2D en mélangeant des techniques analogiques et numériques.
Lara Adriolo a créé les modèles 3D façon Playstation 2 comme la tasse « Carpe Diem » et la machine à fruits. Max Gierkink a réalisé de nombreux modèles 3D qui apparaissent dans la séquence du rêve. Parce que la réalisation d’un film est un processus collaboratif, il est important pour moi de mettre en lumière le travail de ces artistes incroyables. Je suis extrêmement fière que nous ayons pu faire fonctionner le mélange éclectique de différents styles.
Mon propre style d’animation 2D est souvent décrit comme un peu brut ou approximatif. Mon approche aussi, je dirais. Je dessine surtout quand je suis en colère, triste, confuse ou frustrée. Mais je ne pense pas que quand je dessine, je m’autorise simplement à me sentir confuse. J’aime dessiner comme si je faisais un puzzle. Étant donné que l’animation est une tâche qui prend du temps, vous devez planifier correctement ce que vous allez animer et combien de temps cela vous coûtera. J’essaie généralement de faire beaucoup de place dans mon emploi du temps pour pouvoir continuer à dessiner tout au long du processus de production. Même quand je suis en train de faire le trait final pour une scène.
C’est ainsi qu’est née l’idée de faire en sorte que Mary ait les cils de plus en plus courts. Je ne voulais pas qu’elle pleure, comme je ne voulais pas la « victimiser ». Elle est fatiguée, mais l’amour pour son fils transparaît toujours. En allongeant et en raccourcissant les cils et en les entrelaçant parfois avec son fils, Murphy, nous avons pu donner cette représentation visuelle supplémentaire de ses émotions. Pour moi, c’est ce qui est magique dans l’animation. Chaque désir, chaque secret, chaque pensée intérieure que vous avez, vous pouvez les exprimer visuellement avec votre personnage.
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Il y a un climat particulier qui suggère une forme de violence dans Mother’s Child, même s’il n’y a pas de représentation de violence à l’écran. Pouvez-vous nous en dire plus sur cet aspect du film ?
La façon dont les personnes aidantes et les parents qui sont aidants sont traité•es par les professionnel•les de la santé et les responsables gouvernementaux est vraiment froide et rude. Le mur bureaucratique que vous devez escalader est incroyablement élevé. Cela seul peut provoquer un sentiment étrange ou inquiétant. Pour Mother’s Child, je voulais que cette tension s’accumule vers la fin. Avec la conceptrice sonore Sietske Brockhoff et la compositrice Kris McDonald, nous avons décidé d’utiliser le caisson de basses et d’utiliser les basses fréquences à certains moments où la tension monte dans le film. Nous voulions que le public soit un peu submergé au fur et à mesure que le film avance, tout comme Mary.
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Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?
J’apprécie le travail de Juraj Herz, David Lynch, Kōji Yamamura, Yuri Norstein, ainsi que Print Pärn. L’Incinérateur de cadavres de Juraj Herz est l’un des films les plus intéressants à mon avis, parce que le spectateur lui-même est entraîné dans ce labyrinthe où l’on remet constamment en question ce qui est réel. Je me suis sentie trahie à la fin de l’histoire, tout comme les victimes du film. Regarder un film devient alors une expérience, comme si celui-ci vivait sa propre vie dans notre imagination.
Pour être vraiment honnête, je ne regarde plus beaucoup de films d’animation ou de films en prises de vues réelles en fait. Pas autant que je le voudrais. J’adorerais regarder plus de films d’animation, mais quand je suis dans un marathon d’animation non-stop, j’ai du mal à regarder des films animés. Quand je regarde un film aujourd’hui, je deviens très analytique. Je pense aux possibilités infinies en ce qui concerne la conception sonore, l’éclairage, ou toutes les choses que je veux encore essayer et expérimenter durant ma carrière. Après une longue journée et/ou une longue nuit d’animation, j’essaie de déconnecter à un moment donné.
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Quelle est la dernière fois que vous avez eu l’impression d’avoir voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent à l’écran ?
La forme d’art qui m’inspire le plus, c’est la musique. Quand j’écris, que je dessine, que j’anime – tout au long du processus de production – j’écoute de la musique presque sans arrêt. Je dirais que la musique m’inspire bien plus que le cinéma. En ce qui concerne les nouveaux talents et l’impression que vous regardez quelque chose de nouveau, j’ai été émerveillée par Doechii et son concert NPR Tiny Desk. L’art qui entoure sa dernière mixtape Alligator Never Heal est tellement plein de détails. La façon dont elle mélange ses chansons pour une performance me rappelle les talents de productrice du regretté MF DOOM. Les détails et le charisme de sa performance sont contagieux d’une certaine manière. Aussi, quand j’écoute la musique de Beth Gibbons, j’entends quelque chose de nouveau à chaque fois. Beth Gibbons fait de la musique depuis avant ma naissance et n’est pas une « nouvelle artiste » bien sûr, mais chaque fois que j’écoute sa musique, j’ai l’impression de l’écouter pour la première fois.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 7 février 2025.
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