Berlinale | Critique : Yunan

Fatigué et aigri de sa vie en exil, Munir part à la recherche d’un endroit où se suicider. Il arrive sur une île isolée au bout de la mer du Nord où habite Valeska, une femme âgée qui l’héberge.

Yunan
Allemagne, 2025
De Ameer Fakher Eldin

Durée : 2h04

Sortie : –

Note :

VOYAGEUR SANS BAGAGE

Ameer Fakher Eldin, cinéaste ukrainien d’origine syrienne et palestinienne, s’était fait repérer à la Mostra de Venise en 2021 avec son premier long métrage, The Stranger. C’est en compétition à la Berlinale qu’on le retrouve aujourd’hui avec Yunan qu’il présente comme le deuxième volet d’une trilogie consacrée à l’exil. Cette question-ci, le long métrage la traite de façon à la fois concrète et métaphorique. Munir, le protagoniste, débarque sur une île allemande quasi déserte comme un chien dans un jeu de quilles. Voyageur sans bagage, mais aussi sans vélo ou réservation pour l’unique auberge du coin, il semble débarquer d’on ne sait où. D’où exactement ? Le scénario choisit élégamment de ne pas répondre à cette question, respectant à sa manière le secret dont souhaite s’entourer Munir le solitaire.

Ce n’est pas que Yunan soit un film plein d’ellipses, c’est plus exactement qu’il se situe sur le terrain de la parabole. Entièrement recouverte d’eau à chaque marée, cette île coupée du monde qui n’en finit pas de renaitre de ses cendres est déjà tout un symbole en elle-même : On est ici dans le cas de figure bien identifié du récit métaphorique où un personnage masculin plein de dignité doit composer avec ses doutes dans des paysages désertiques mis en scène avec ambition, voire grandiloquence ; autant dire une proportion certaine du cinéma du Proche-Orient tel qu’il est relayé chez nous. Ainsi, le film ressemble par instants à ce que ferait une personne désireuse de caricaturer le cinéma de Nuri Bilge Ceylan. La grammaire propre à cette famille de films (très beaux plans, silence, intériorité et beaucoup, beaucoup de sérieux) est à la fois une limite et un atout pour Yunan.

C’est une limite car le film dévie rarement du programme attendu, mais aussi car elle vient alourdir la série de scènes déjà bien réservées (sont-ce des flashbacks ?) reconstituant ce qui ressemble autant à des souvenirs familiaux qu’à une légende traditionnelle. Mais c’est aussi un atout car c’est ce qui permet au film d’éviter deux écueils potentiels : l’attendrissement pittoresque et le réalisme social misérabiliste. Face à Munir qui, à force de se taire, ressemble parfois davantage à une allégorie qu’à une personne, Hanna Schygulla campe un personnage au contraire très vivant d’aubergiste rude mais au grand cœur. On imagine aisément la mauvaise comédie qui aurait pu naitre de cette cohabitation des contraires au milieu de nulle part, mais Yunan évite ce cliché en refusant par exemple de compromettre la place presque radicale qu’il laisse au silence. Imparfait, le résultat a néanmoins pour mérite d’être plus difficile à classer que prévu, à la fois contemplation exigeante et fable au cœur gros comme ça sur les populations déplacées.

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par Gregory Coutaut

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