Laver, blanchir, décaper, décrasser, décrotter, dégraisser, détacher, lessiver, récurer… Les images du travail de nettoyage des lieux, des institutions, d’hygiène du corps et des esprits dénoncent, sans dialogue, l’ultra libéralisme tapi derrière la propreté jusqu’aux délires de pureté raciale.
Cleaning & Cleansing
Autriche, 2024
De Thomas Fürhapter
Durée : 1h31
Sortie : –
Note :
DU BALAIS !
Ca vous dirait de consacrer 1h30 aux tâches ménagères ? Vous devriez, au moins avec ce documentaire autrichien au sujet étonnant : le ménage sous toutes ses formes. La caméra du cinéaste autrichien Thomas Fürhapter nous propose une mosaïque quasi-muette de scènes de ménage, littéralement : sans explication, sans commentaire ni contexte, nous voilà immergés tantôt dans une salle de classe, tantôt dans une chambre d’hôtel ou un avion. En fil rouge de cette exploration au-delà de banales apparences , une question de plus en plus philosophique : qu’est ce que ça veut dire, nettoyer ?
Difficilement traduisible en français, le titre international du film évoque déjà deux sens distincts de ce verbe : à la fois une action terre-à-terre et une recherche de pureté plus abstraite. Tout débute pourtant ici avec l’action la plus simple qui soi : se laver les mains. Or les mains qui ouvrent le film se lavent mutuellement avec un soin et un zèle extrêmes qui sortent de l’ordinaire. Le plan suivant nous l’apprend : elles appartiennent à un médecin qui s’apprête à laver le corps d’un malade. Se laver soi, puis l’autre, puis autour de nous… jusqu’où devrait-on continuer ?
Les séquences s’enchainent avec une froideur typique du cinéma autrichien. Les plans sont fixes, presque rigides dans leur symétrie, ils appellent un regard explorateur. A quelques gros plans près, la caméra se trouve presque toujours à une distance qui englobe l’entièreté des lieux qu’elle filme, aussi improbables soient-ils (des égouts, une fusée). Difficile de ne pas reconnaitre là la puissante recette ayant fait le succès d’un compatriote de Fürhapter, le célèbre documentariste Nikolaus Geyrhalter (Homo Sapiens, Earth, Matter out of Place). C’est peut-être en partie la faute au sujet, qui impose une majorité de scènes d’intérieur, mais les images de Cleaning & Cleansing n’atteignent pas toujours le vertige des film de Geyrhalter. Le résultat donne régulièrement l’impression de ne pas se détacher suffisamment de cette brillante référence.
Il n’y a pas d’évolution narrative évidente dans cette compilation qui peut passer du banal au grandiose puis vice-versa. Plusieurs scènes viennent néanmoins donner à son sujet une envergure inattendue. Outre le ménage en apesanteur dans l’espace ou encore les rituels de purifications spirituels dans une maison hantée, Cleaning & Cleansing nous propose de trouver derrière des gestes quotidiens des moyens de nettoyer l’âme (comme dans cette scène de baptême), de nettoyer le futur (les déchets radioactifs) et le passé (un monument aux morts parlant de la responsabilité de l’Autriche face à l’Histoire est karcherisé le temps d’un plan évoquant… The Substance) et même, lors d’un plan final stupéfiant filmé à travers le pare-brise lavé dans un garage : nous nettoyer, nous et notre regard. L’une des fins de film les plus puissantes vues depuis longtemps.
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par Gregory Coutaut