Jackie Shane, star du rhythm and blues, aussi célèbre qu’Etta James ou Little Richard dans les années 70, disparaît un jour mystérieusement. Icone trans, incomprise et meurtrie, elle se terre dans son Tennessee natal jusqu’à ce que son incroyable voix ne soit redécouverte après quarante années d’oubli.
Vivre et laisser vivre – La Voix de Jackie Shane
Canada, 2024
De Michael Mabbott et Lucah Rosenberg-Lee
Durée : 1h38
Sortie : –
Note :
A VOIX HAUTE
Connaissez-vous Jackie Shane ? Grand nom du rhythm & blues dans les 60’s, sa renommée n’a pas véritablement survécu aux années contrairement à nombre de ses consœurs ou confrères. Mais l’histoire de la chanteuse, dépeinte dans ce documentaire Vivre ou laisser vivre : la voix de Jackie Shane réalisé par le duo canadien Michael Mabbott et Lucah Rosenberg-Lee, n’est pas commune. Femme noire et trans, Jackie Shane raconte à travers son parcours une Histoire des États-Unis. Au début de sa carrière, les lois Jim Crow sont encore en place – et ce n’est pas leur abolition qui a fait disparaître le racisme par magie.
A une époque où une société réactionnaire s’attend encore à ce que les Noir.es restent à leur place, Jackie Shane a à peu près tout décidé à sa façon. Comme précédemment indiqué, Shane n’est pas seulement noire mais trans – une convergence de discriminations et autant d’épreuves pour l’artiste. Comment la culture noire est vue et consommée par les Blancs, dans une société aussi raciste ? Comment Jackie Shane exprime-t-elle son identité et sa queerness dans son art, à travers des textes codés et des sous-entendus ? Mabbott et Rosenberg-Lee évitent avec bonheur les recettes réchauffées de la success story, tout simplement parce que la carrière de Jackie Shane ne rentre pas vraiment dans ces codes-là.
Le documentaire revient en effet sur les choix faits par l’artiste, et sa mise en retrait (si l’on peut dire) volontaire. Car Shane préfère la paix d’esprit, car elle privilégie son lieu à elle plutôt qu’une tournée… mais ce choix n’en est pas totalement un car le film témoigne de la guerre d’usure qui a fini par avoir raison de la chanteuse. Comment être une artiste noire, queer, trans, et publique à cette époque ? En quoi son parcours éclaire celui des personnes trans aujourd’hui, en pleine panique transphobe ? Si elle a depuis été quelque peu réhabilitée, l’une des raisons pour lesquelles Shane n’est pas plus connue, c’est qu’elle s’est résignée elle-même à faire une croix sur la gloire qu’elle méritait.
Pour raconter Jackie Shane, Michael Mabbott et Lucah Rosenberg-Lee avaient des enregistrements téléphoniques mais ne disposaient pas de beaucoup d’images. Les cinéastes ont eu la bonne idée de faire appel à la rotoscopie : les images manquantes et méritées sont animées. Des voix et visages de personnes trans (dont Makayla Couture qui s’est illustrée récemment comme candidate de Canada’s Drag Race) incarnent et/ou narrent Jackie Shane en un émouvant geste de transmission. S’il reste de facture relativement classique dans son genre, La Voix de Jackie Shane, produit par Elliot Page, parvient, dans sa forme comme dans son fond, à trouver le bon point de vue.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |
par Nicolas Bardot