Festival Black Movie | Critique : Jeunesse (retour au pays)

Le Nouvel An approche et les ateliers textiles de Zhili sont quasi-déserts. Les quelques ouvriers qui restent peinent à se faire payer avant de partir. Des rives du Yangtze aux montagnes du Yunnan, tout le monde rentre célébrer la nouvelle année dans sa ville natale. Pour Shi Wei, c’est aussi l’occasion de se marier, ainsi que pour Fang Lingping. Son mari, ancien informaticien, devra la suivre à Zhili après la cérémonie. L’apprentissage est rude mais ne freine pas l’avènement d’une nouvelle génération d’ouvriers.

Jeunesse (retour au pays)
Chine, 2024
De Wang Bing

Durée : 2h34

Sortie : 09/07/2025

Note :

RETOUR À LA CASE DÉPART

Dévoilé en compétition à la Mostra de Venise, Jeunesse (retour au pays) est le dernier volet de la trilogie entamée par le Chinois Wang Bing avec Jeunesse (le printemps) et Jeunesse (les tourments). En tout, près de 10h de films – et l’on pourrait imaginer un seul et même documentaire-fleuve à l’image de son monumental A l’ouest des rails, réalisé il y a une vingtaine d’années et d’une durée comparable. Jeunesse (retour au pays) est le plus court des trois documentaires (2h32) et c’est d’ailleurs celui qui passe le moins de temps dans les ateliers de confection textile de Zhili que le cinéaste a filmés pendant des années.

Il n’y a pas de raison que le constat de Retour au pays soit plus rose que celui du Printemps ou des Tourments : les ouvrières et ouvriers sont parfois traité.es comme des esclaves, il ne s’agit plus seulement de personnes mal payés mais pas payées du tout : « on ne peut pas gagner » se résigne t-on. Il y a un étrange silence qui ici ou là habite ce dernier volet : les infernales machines à coudre se sont tues. Les protagonistes rentrent « au pays », parfois à l’autre bout du pays, pour célébrer le Nouvel An Lunaire. On s’embarque pour le bout du monde, dans le train est évoqué le triste sort d’un homme mort au travail. Le Printemps et Les Tourments montraient l’absence d’horizon concret et métaphorique en restant dans des ateliers comme on serait terrés dans des grottes. Dans Retour au pays, on suit à l’extérieur une route vertigineuse tout au bord du vide : si l’on aperçoit cette fois l’horizon, le risque semble évident.

On notait, dans les précédents volets, que les moments passés hors de l’atelier (les instants de repos, quand le travail cesse) ressemblaient à des anomalies dans ce quotidien aliénant. Dans Retour au pays, les personnages retrouvent leurs familles, marchent dans la nature, presque comme s’ils et elles sortaient de prison – à moins qu’il ne s’agisse d’une simple permission. Wang Bing n’est pas du genre à enjoliver ce retour aux sources : le dénuement est total, la vie de tous les jours n’est guère plus lumineuse. A vrai dire, tout, toujours, ressemble à une épreuve – même se marier. Les pétards sont lancés, on espère une année de prospérité, mais ici ou là-bas tout le monde semble prisonnier d’un système exsangue.

Ce n’est pas trahir un suspens que de dire que le retour est temporaire. Toute la structure des trois Jeunesse dessine des cercles infinis, qui se croisent et se superposent. Les personnages retrouvent leur travail, retrouvent leur labyrinthe, retrouvent le brouhaha. On cherche à nouveau un emploi, sans grandes espérances. Est-ce là une rupture ? Wang Bing filme des garçons et des filles qui paraissent encore plus jeunes, et qui s’amusent au téléphone. Vont-elles et ils, comme les autres, être aspiré.es ? Cet ouvrier qui semble s’en aller brise t-il la boucle ? Le tumulte qui s’est peut-être arrêté le temps d’une fête reprend sans qu’aucune certitude quant au futur ne se dessine, après 2 heures, 4 heures, 10 heures, et toutes les années passées par Wang Bing à filmer cette jeunesse.

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par Nicolas Bardot

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