Festival Chéries-Chéris | Entretien « Avant-drag ! »

Dévoilé en début d’année au Festival de Rotterdam et présenté en France cette semaine à Chéries-Chéris, le documentaire Avant-drag ! présente un panorama électrique de la scène drag alternative grecque. Le duo formé par les performeur.euses Parakatyanova et SerGay Parakatyanov, ainsi que Foivos Dousos, scénariste et producteur du film, sont nos invité.es et évoquent les aspects politiques et artistiques de l’art du drag.


SerGay Parakatyanov

Parakatyanova et SerGay Parakatyanov, comment présenteriez-vous vos personnages drag ?

Parakatyanova : Parakatyanova est un personnage qui est né il y a quatre ans, dont je me sers pour exprimer ma féminité et mon point de vue politique à travers des performances divertissantes. Celles et ceux qui viennent voir Parakatyanova doivent s’attendre à des références traditionnelles à la culture grecque, c’est à dire que je prends des stéréotypes et j’essaie de les distordre, comme par exemple la manière dont la religion orthodoxe voit les normes de genre. Je rajoute des éléments pop, trash et je transforme ça en performance autour d’un lipsync. Bon, je réfléchis beaucoup mais j’essaie franchement de m’amuser.

SerGay Parakatyanov : SerGay est bien plus jeune que Parakatyanova, nos deux personnages ont d’ailleurs une relation mère/fils et cela bien qu’ils soient aussi mari et femme, ça doit être l’influence de la mythologie grecque (rires). Cela fait plusieurs années que je travaille le personnage de SerGay en me basant sur des stéréotypes régionaux sur la masculinité et le film m’a beaucoup aidé à le définir puisque j’ai dû verbaliser mon point de vue et mes idées politiques. SerGay est un enfant de la campagne comme moi, ayant grandi entre patriotisme, christianisme orthodoxe et patriarcat, et qui s’est construit en opposition à ça. J’utilise les symboles du nationalisme orthodoxe pour les détourner et les déconstruire avec humour et ironie. Je les tourne en ridicule même si, pour être honnête, ils n’ont déjà aucun sens ou aucune logique à la base.

Foivos Dousos : Lorsque Fil Leropoulos, le réalisateur du film, et moi-même avons commencé à travailler sur ce film, nous avions à cœur de sélectionner des artistes qui possèdent toutes et tous un point de vue contemporain sur le drag, c’est-à-dire qui dépasse la simple idée d’un gars s’habillant en jolie fille. Nous voulions des personnes qui expriment leur genre de façon unique et diverse. Nous voulions également des personnes possédant un pont de vue critique sur tout ce qui traverse la société grecque : politique, religion, nationalisme. C’est un film sur le drag mais c’est aussi un film qui propose de nouvelles définitions sur ce que peut être le drag. Après tout le film s’appelle Avant-drag !.

SerGay Parakatyanov : De plus, comme il est d’ailleurs dit dans le film, le nationalisme orthodoxe tel qu’il existe en Grèce possède également ses propres aspects performatifs. C’est déjà presque une performance. C’est très intéressant d’analyser ça à travers le filtre d’une autre performance.

Foivos Dousos : Toutes ces parades, ces drapeaux, ces costumes… ce sont des éléments très artificiels et contradictoires. On pourrait presque dire que le nationalisme, c’est du drag ! La relève de la garde devant le parlement, c’est presque un show drag, hormis qu’ils refusent de regarder leur propre ridicule dans les yeux. Le vrai drag est plus honnête sur ce point. Les conservateurs essaient de s’accaparer les symboles de la Grèce pour mieux exclure certaines personnes de la société. On n’a pas d’autre choix que de se battre face à cela. Être Grec ça peut être très violent.



Qu’entendez-vous par là ?

Foivos Dousos : D’une part, le nationalisme est un problème que l’on retrouve dans bien d’autres pays. En présentant le film à l’étranger, on se retrouve parfois face à des gens qui nous disent « Oh mes pauvres chéris, pauvres de vous », comme si ça n’existait pas chez eux. Un peu partout on assiste à un durcissement du sentiment anti-lgbtq et cela est très souvent lié à la protection de valeurs traditionnelles. Or quand on commence à regarder ces valeurs de près, on se rend compte qu’elles ne sont pas si anciennes que ça, qu’elles ont souvent été réécrites au fil du 20e siècle. D’autre part, c’est vrai que c’est encore plus absurde en ce qui concerne la Grèce. La plupart des étrangers associent encore la Grèce à l’homosexualité (tous et toutes rient, ndlr) alors que la Grèce moderne est un pays très homophobe. On se retrouve avec plein de touristes confus. Certaines personnes disent qu’on devrait se réapproprier cette culture antique et remettre l’homosexualité dans la lumière, mais je ne pense pas que ce soit la bonne marche à suivre. On en a marre de devoir justifier notre existence au nom de la tradition. La tradition sera toujours là, on ne peut rien y changer, donc mieux vaut inventer des nouvelles manières de vivre ensemble.

SerGay Parakatyanov : Les conservateurs grecs trient ce qui les arrange dans la tradition nationale pour se l’approprier. Il leur manque une approche hollistique. Par exemple en Grèce il existe un fort rejet de la culture des Balkans, et c’est précisément en réponse à cela que nos personnages drag ont des noms évoquant les Balkans. Certains Grecs refusent d’admettre que la Grèce fait partie des Balkans, ça ne fait pas assez européen pour eux.

Foivos Dousos : Ce fameux fantasme que nous les Grecs aurions inventé l’Europe, que nous serions le pays de la philosophie, une société pure, blanche et homogène… c’est une réécriture de l’histoire qui ne crée que de la souffrance. La Grèce a toujours été un lieu de mélange, c’est le lieu où différentes cultures se sont rencontrées pendant des siècles. J’ai parfois l’impression que la société grecque contemporaine cherche à reproduire ces chocs de civilisations en s’inventant de faux problèmes. Comme le mot woke par exemple : tout le monde dit que c’est le problème numéro un mais personnes ne sait le définir. Récemment le gouvernement grec a voulu rassurer les citoyens en déclarant « Nous ne serons jamais woke ». Mais pitié chéri, tout le monde l’avait déjà compris. Les gens qui disent que les pronoms sont une menace pour la société ne sont jamais sortis de leur village et n’ont jamais rencontré la moindre personne trans. Les antiwokes se fantasment en tant que seuls libre penseurs de notre époque mais ils ne font que régurgiter la propagande américaine la plus banale.

Parakatyanova : Les nationalistes grecs se gargarisent du fait que nous ayons inventé la démocratie, mais ça les arrange bien d’oublier que dans l’Antiquité, notre version de la démocratie incluait l’esclavage. Ils se fantasment en héritiers des Spartiates virils en occultant complètement le fait que ces derniers pratiquaient l’homosexualité sans problème. Mais comme on le disait, je suis sûr que ce type de nationalisme absurde existe aussi en France.



Le cinéma est il une source d’inspiration pour votre drag ?

SerGay Parakatyanov : Bien entendu. D’une part, il existe tout un répertoire international de films sur le drag, y compris dans le cinéma underground. D’autre part le cinéma en général nous sert de modèle pour transformer nos performances en récit. Pour Avant-drag ! par exemple, nous avons structuré nos performances de manière différente que d’habitude, en ayant spécifiquement en tête une narration cinématographique.

Parakatyanova : Nous avions fait de l’art vidéo et mené des projets audiovisuels amateurs au début de nos carrières, même si j’hésite à employer le terme de carrière (rires). Par ailleurs nous nous basons sur des stéréotypes qui font partie de la pop culture grecque et donc du cinéma. En particulier certains films très populaires des années 50 ou 60, que les gens continuent d’adorer même s’ils sont très problématiques, que ce soit sur la question de racisme ou des représentations féminines. Ironiquement, en regardant les costumes, les coiffeurs, et le surjeu à l’œuvre dans certains de ces films, on dirait qu’ils sont interprétés par des drags ! Nous voulons explorer le sous-texte politique de ces films et le traduire de façon non-didactique, mais des fois on s’inspire de films juste parce qu’ils sont iconiques!

Foivos Dousos : A travers vos numéros, vous accentuez les stéréotypes et grâce à cela les gens peuvent enfin les voir et y réfléchir par eux-mêmes. De plus, personne n’a envie d’assister à une conférence qui viendrait expliquer en quoi on devrait avoir honte de nos films préférés, c’est bien plus utile de faire passer le message par un biais artistique. Le drag c’est comme le cinéma : c’est explosif, fun, immédiat, émouvant. Il arrivent souvent que les gens ne considèrent pas le drag comme un art sérieux parce que c’est basé sur de la culture pop ou de la politique. Comme si l’art avec un grand A ne pouvait exister que dans la haute sphère des idées, détaché du monde réel. La beauté du drag c’est que ça nous autorise à aimer ces choses à notre propre manière.


Parakatyanova

A ce propos, quel est votre film queer préféré, et pourquoi ?

Foivos Dousos : (Il montre son blouson en cuir à l’effigie de Lucifer Rising de Kenneth Anger, ndlr) Voilà ma réponse. Le réalisateur d’Avant-drag ! est très influencé par l’avant-garde queer des annnes 50 et 60. Il dit toujours que l’expérience artistique queer ne devrait pas se limiter à représenter des personnes et de situations queer mais imaginer des nouvelles formes narratives.

SerGay Parakatyanov : Laurence Anyways est un de mes préférés. Le film me fait beaucoup pleurer, d’ailleurs je pleure souvent au cinéma, je suis une vraie mauviette (rires). J’aime particulièrement la scène où Laurence arrive pour la première fois en habits de femmes devant ses élèves, et passée une seconde de surprise silencieuse, les élèves reprennent leur discussion comme si de rien n’était. Cette manier de dire « être queer ça ne fait aucune différence » c’est une véritable utopie.

Parakatyanova : Strella de Panos Koutras et bien sur L’Attaque de la moussaka géante. Strella est le tout premier film queer que j’ai vu. Le film s’inspire de la tragédie grecque mais propose une fin heureuse et étrange. J’aime aussi beaucoup le film grec Crying…Silicon Tears et le Rocky Horror Picture Show évidemment.



Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 23 novembre 2024. Un grand merci à Molka Mhéni.

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