Mostra de Venise | Critique : Super Happy Forever

Accompagné de son ami Miyata, Sano retourne à Izu, une station balnéaire du Japon où il était tombé amoureux de sa femme Nagi cinq ans plus tôt.

Super Happy Forever
Japon, 2024
De Kohei Igarashi

Durée : 1h34

Sortie : –

Note :

CONTE D’ÉTÉ ET CONTE D’AUTOMNE

Super Happy Forever s’ouvre par un plan de mer bleue et paisible. Pourtant, assez rapidement, on constate qu’il ne fait pas si beau – les protagonistes sont peut-être en vacances, mais nous sommes probablement hors saison. Ces congés pourraient et devraient être une parenthèse merveilleuse, un peu comme la nuit où le temps semble s’être arrêté dans le précédent long métrage du Japonais Kohei Igarashi (Takara, la nuit où j’ai nagé, co-réalisé avec Damien Manivel). Mais Sano, le héros du long métrage, fait sa mauvaise tête, n’a guère envie de s’amuser avec les filles du coin, trolle le chauffeur de taxi et n’a que faire de l’ami qui l’accompagne. La berceuse lancinante des vagues dissimule mal le malaise qui s’invite dans chaque plan.

Sano et Miyata ont une courte discussion dédramatisée sur la mort et le destin. Ce qui pourrait être un échange anodin suggère pourtant un deuil bien réel qui a anéanti Sano. Le chauffeur de taxi parle d’une femme fantôme qui se tiendrait sur la jetée. Le décor en apparence idyllique semble effectivement hanté, malgré la douceur de l’image : l’hôtel va fermer, le restaurant ne semble plus exister, le sento est vide. Le titre du long métrage, Super Happy Forever (super heureux pour toujours), vient d’un séminaire auquel a participé Miyata, l’ami de Sano. Mais qui peut croire de telles sornettes ? Dans ce lieu qui éveille des souvenirs douloureux, Sano est pénible avec tout le monde ; le réalisateur nous le fait ressentir jusqu’à frôler la répétition, jusqu’à rendre son personnage pénible pour nous également – comme dans cette inévitable scène de karaoké où les émotions non-articulées finissent par être surlignées.

Sans trop en dévoiler sur le déroulement du film, Super Happy Forever opère une rupture, changeant de protagoniste et de temporalité. Ce sont toujours des vacances, mais cette fois celles-ci paraissent estivales et heureuses. Igarashi dépeint avec grâce le charme spécial propre au début d’une relation amoureuse – la complicité qui se crée, les points communs, le goût pour le cinéma d’horreur ou l’absence de goût d’un plat que l’on partage. Si ce que l’on voit est idyllique, si la lumière est délicieuse, il y a pourtant un voile sombre qui se superpose de manière invisible à l’image. Grâce aux indices de la première partie du film, on sait, mais c’est le propre des tragédies : on en regarde le déroulement même en en connaissant l’issue.

Qu’est-ce que Nagi fixe avec son appareil photo ? Qu’est-ce qui reste fixé dans la mémoire de Sano ? Qu’est-ce qui rend super happy forever ? En un émouvant renversement d’échelle, l’éternité d’un bonheur peut tenir dans un simple détail, un moment précis et suspendu – ou juste la consommation de nouilles instantanées. Igarashi filme les solitudes qui se font ou se défont, et sa construction ôte toute forme de mièvrerie au récit amoureux. Il y a une grâce subtile dans l’écriture et la construction de ce mélodrame sentimental en sourdine, dont on ne filme jamais les événements mais que l’on ressent comme si on les voyait.

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par Nicolas Bardot

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