Festival de Locarno | Critique : Cartas telepáticas

Lovecraft et Pessoa furent parmi les écrivains les plus influents du XXe siècle. Documentaire aux images générées par une IA, Cartas Telepáticas explore les liens invisibles entre ces deux auteurs.

Cartas telepáticas
Portugal, 2024
D’Edgar Pêra

Durée : 1h10

Sortie : –

Note :

POUR ME COMPRENDRE

Le poète portugais Fernando Pessoa et l’écrivain américain H.P. Lovecraft ont vécu à la même époque mais ne se sont jamais rencontrés. A priori leurs œuvres sont assez éloignées l’une de l’autre : d’un côté une intranquillité (Pessoa est l’auteur de ce néologisme) marquée par la dictature, de l’autre une mythologie faite d’horreur et de science-fiction. Entre les lignes, elles partagent pourtant des idées et des thèmes communs. Suffisamment pour que le cinéaste portugais Edgar Pêra invente ici un dialogue imaginaire entre ces deux auteurs torturés.

Moins documentaire classique tourné vers le passé qu’expérimentation contemporaine, Cartas telepáticas est entièrement et uniquement composé d’images animées générées par une intelligence artificielle. On commence à croiser cette nouvelle et étrange grammaire visuelle dans les clips ou les courts métrages (la dernière édition du festival de film fantastique de Bucheon possédait d’ailleurs une section – plutôt déprimante – entièrement consacrés aux cours d’IA), mais c’est sans doute le premier exemple de long métrage cinématographique de ce style.

Le résultat ? Une fois avalée la couleuvre de la très grande laideur de ces images irréelles où formes et visages donnent sans cesse l’impression de fondre dans un mouvement reptilien, une fois dépassée la crainte initiale de s’enliser dans un magma abscons de considérations intellectuelles, Cartas telepáticas se révèle plus cohérent et parlant que prévu. Tout d’abord, Pêra a sélectionné d’authentiques écrits autobiographiques qu’il a remontés et redistribués sous forme de conversation entre deux voix-off, et le verbe brillant de ces auto-analyses apporte beaucoup de relief à ce cours de littérature comparée.

Sur quel terrain Lovecraft et Pessoa se retrouvent-ils ? Celui des identités fragmentées, des labyrinthes d’illusions ou encore des fantasmes de civilisations menacées. C’est là que ces images grouillantes, vouées à devenir technologiquement ringarde d’ici quelques mois et donc à s’effacer de nos esprits tels des cauchemars, viennent illustrer idéalement les visions hallucinés des deux auteurs. Comme si elles avaient été crées par eux-mêmes. On pourrait presque aller jusqu’à dire que Cartas telepáticas est même, à sa manière unique, une adaptation cinématographique réussie de Lovecraft. Exigeant,  souvent étouffant, l’inclassable résultat n’est certainement pas un film tout public, mais ce dédale psychédélique et monstrueux a pour mérite de respecter l’ambitieuse folie de son double sujet. Et comme le disait Pessoa « se faire comprendre, c’est se prostituer ».

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par Gregory Coutaut

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