Les histoires individuelles et collectives se succèdent dans les ateliers textiles de Zhili, plus graves à mesure que passent les saisons.
Jeunesse (les tourments)
Chine, 2024
De Wang Bing
Durée : 3h47
Sortie : 02/04/2025
Note :
COMPLÉMENT D’ENQUÊTE
Les boulot, les clopes, les discussions sur les filles : dès ses premiers instants, Jeunesse (les tourments), second volet de la trilogie du Chinois Wang Bing, prolonge très exactement le récit du premier épisode Le Printemps. Difficile de dire s’il en prend la suite ou s’il débute au cœur du précédent volet : la structure en spirales infinies, en diagrammes d’événements qui se répètent, fait perdre tout repère. Lorsque les protagonistes sortent de l’atelier, il fait jour, et cette sensation a été totalement oubliée à l’intérieur des bâtiments. On est tout le temps là, on ne sait plus où on est, la journée est infinie, on fait la sieste sur place : le lieu et le temps deviennent des notions relativement abstraites.
Voilà un nouveau chapitre de la déshumanisation ultra-capitaliste. On assiste au même travail répétitif, aux mêmes mouvements rapides, dans un même capharnaüm sonore. La répétition machinale (des bruits, des taches, des jours) fonctionne comme une illustration d’un capitalisme fascisant. A l’image du Printemps, Wang Bing s’attache à donner le nom, l’âge et le lieu d’origine de chacun.e de ses protagonistes – le réalisateur ne participe pas à leur anonymisation. On écoute les anecdotes, les discussions la nuit alors que les silhouettes se dessinent dans la pénombre et que le travail a cessé.
La violence paraît accentuée par rapport au précédent film. « Tous les ateliers, c’est pareil », entendait-on dans Le Printemps. Pourtant ici, on note qu’ailleurs « c’est encore pire ». Les ouvriers se font rouler dans la farine par leur boss ? Cette fois-ci, non loin de l’atelier, c’est le boss qui est en train de se faire lapider. Wang Bing raconte les consciences qui s’éveillent : une organisation, une grève ? Puis l’activité reprend, avec les mêmes débats sur la paye, en une boucle éternelle. Wang filme et raconte, au sens propre et figuré, l’absence d’horizon, l’absence d’issue. Jeunesse donne le sentiment de tourner en rond ? C’est bien le propos du film qui explore le piège vertigineux dans lequel se trouvent les personnages.
Les ateliers sont tous les mêmes et évoquent les cellules de l’asile psychiatrique d’A la folie. Pendant les 3h30 du Printemps, pendant les 3h50 des Tourments, on entend le même bruit lancinant des machines – une torture que les ouvrières et ouvriers ne remarquent même plus. Dans ce tourbillon, on a bien conscience que personne ne viendra apporter de l’aide. On parle énormément d’argent dans Jeunesse (les tourments), mais c’est bien sûr moins par cupidité que pour une question de survie. Wang Bing filme pendant des années ces travailleuses et travailleurs déplacé.es qui n’ont droit à rien. Et lorsque la vie reprend, que l’on aperçoit la nature, que l’on assiste à un repas – toutes ces choses très simples, dans des lieux modestes, ressemblent à des anomalies. Wang Bing met en scène une nouvelle immersion vertigineuse et parvient à insuffler de l’humanité là où un système infernal fait tout pour robotiser les êtres et les vies.
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par Nicolas Bardot