Entretien avec Youssouf Abi-Ayad

S’il est une révélation sur grand écran avec L’Air de la mer rend libre, actuellement en salles, le Français Youssouf Abi-Ayad s’est auparavant illustré sur scène en tant que comédien, metteur en scène mais aussi drag queen. Dans le film de Nadir Moknèche, il incarne avec nuance un jeune homme homosexuel qui va devoir trouver sa propre voie dans la vie, alors qu’il vient d’accepter un mariage arrangé avec une femme. Youssouf Abi-Ayad est notre invité de ce Lundi Découverte et nous en dit davantage sur ce film qui, avec douceur, dévoile avec finesse l’artificialité des rôles sociaux que chacun endosse pour les autres.


Peux-tu nous parler de la naissance de ce projet et de ta rencontre avec Nadir Moknèche ?

C’était un casting que mon agent François Tessier (Agence Aimant) m’a transféré. Je jouais à l’Odéon tous les soirs et passais le concours de la Drag Me Up le weekend (un concours de drag auquel Youssouf Abi-Ayad a participé sous les traits de Miss Terry Ass, ndlr), j’était complètement dans un autre monde. La rencontre était très rapide et s’est très bien passée. J’ai eu la confirmation le jour même de mémoire , ou le jour suivant. Mais la véritable rencontre avec Nadir pour moi c’est quand il s’est confié sur son désir pour ce film, sur ce qu’il voulait défendre, sur cette violence contenue filmée avec tant de douceur.



Nadir Moknèche a indiqué que Saïd était né « d’une injustice ou d’un constat sur la représentation des garçons gays, arabes et français aujourd’hui ». Il ajoute « J’ai toujours travaillé à tordre le cou aux clichés et à déconstruire les poncifs pour proposer une autre représentation des Maghrébins en France« . Est-ce un élément du scénario auquel tu as été sensible ?

Oui, étant moi même arabe, on me propose parfois des rôles d’une personne arabe sans même se soucier d’une autre caractéristique du personnage en question. Comme si cette donnée définissait tout le reste alors que, en tant que comédien, c’est la donnée que j’ai le moins travaillée dans ma vie. Je travaille la voix, le corps, le personnage, les histoires, sur les costumes, sur le maquillage, sur le décor… mais sur le fait d’être arabe, qu’est-ce que je peux bien travailler…?

Concernant le scénario en soi, j’ai été sensible au fait que Saïd est quelqu’un de finalement très banal. Il n’a rien d’extraordinaire, il n’a pas une vie exceptionnelle et en ce sens pourrait être n’importe qui. J’ai aimé donc ce côté « non représentatif » qui au final peut toucher plus de monde je crois. Dans le film malgré tout, Saïd est quand même soumis à son propre cliché (survet/casquette/cliché du rebeu actif dominant) qu’il endosse avec plus ou moins de conscience. C’était important en parallèle de cette image fétichiste, qu’il y ait des instants d’amour d’une commune banalité avec Vincent.



Comment trouve-t-on sa place pour incarner un personnage aux émotions aussi retenues et cachées ?

C’est très dur pour moi, surtout venant du théâtre où tout est multiplié la plupart du temps. Dernièrement, les productions de théâtre intègrent beaucoup un jeu naturaliste donc je m’y suis retrouvé facilement malgré tout. Surtout que j’aime tout ce qui est exagéré et maniéré. Mais ce n’était pas l’univers du film. Donc en incarnant des choses très simples et contenues, qui confinent au vide, le plus difficile était de ne pas tomber dans le vide justement.



Saïd entretient une relation si ce n’est atypique, en tout cas un peu ambivalente avec ses parents et notamment sa mère. Peux-tu nous parler de la manière dont vous avez collaboré avec Saadia Bentaieb sur la relation entre vos personnages ?

Avec Saadia, c’était très facile de jouer, je l’ai adorée. Je la retrouve dans un court métrage bientôt d’ailleurs ! Beaucoup de douleur dans ce film vient de l’amour que les personnes se portent. Toutes n’ont pas la même grille de lecture du monde alors il y a des conflits mais il y a beaucoup d’amour malgré tout. Les situations à jouer étaient l’air de rien terribles mais comme on s’entendait bien avec Saadia, c’était agréable à faire. Bien trop court.



Avais-tu des inspirations en tête pour nourrir ton interprétation de Saïd ? En quoi ton expérience de la scène a pu constituer un outil lors du tournage de ce film ?

Je n’avais pas d’inspiration pour Saïd du tout, pour le côté un peu racaille j’ai dû composer à la limite… J’avais vu le film Lola Pater de Nadir juste avant le premier jour de tournage et j’avais l’impression de saisir quelque chose, une note de jeu qui m’a tenu pendant tout le tournage. Mon expérience de la scène m’a surtout aidé à être efficace, ne pas me perdre entre les différentes prises avec les temps d’attente, de savoir refaire plusieurs fois la même chose, d’être précis…etc.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 9 octobre 2023. Crédit portrait : Yann Morrison.

| Suivez Le Polyester sur TwitterFacebook et Instagram ! |

Partagez cet article