Critique : Vera

Vera, actrice blonde platine au chapeau de cowboy vissé sur la tête, mène difficilement sa carrière, dans l’ombre de son père, Giuliano Gemma, icône du cinéma italien des années 60. Elle vit au jour le jour dans le petit monde du showbiz, lassée de ses relations superficielles. A la suite d’un accident de la route dans un quartier populaire de Rome, Vera rencontre un jeune garçon de huit ans et son père. Elle tisse une relation intense avec eux, découvre la vraie vie, et peut-être même une nouvelle famille.

Vera
Autriche, 2022
De Tizza Covi & Rainer Frimmel

Durée : 1h55

Sortie : 23/08/2023

Note :

VERA CITÉE

Pas besoin d’un titre plus long : Vera est en effet un sujet incroyable à elle toute seule. Rien que physiquement, elle détone dans les rues de Rome où elle se promène. « J’ai ma propre vision de la beauté : plus je ressemble à une femme trans, plus je me sens belle ». Avec ses longs cheveux blonds, sa veste en fourrure et son chapeau de cowboy sur la tête, Vera ressemble à un mélange de Lova Moor et La Veneno. Son physique et son allure lui ouvrent les portes des soirées people où elle aime poser pour les photographes, mais la confrontent aussi a beaucoup de préjugés. Comment trouver sa place dans le monde quand le monde est prêt à la traiter comme une extraterrestre ?

Vera n’est pourtant pas une marginale ou une anonyme. Les quartiers chics où elle traine aujourd’hui son spleen, elle les a autrefois connus de l’intérieur. Son père fut le célèbre acteur de western spaghetti Giuliano Gemma, un homme si charismatique dont beaucoup possèdent encore un poster à côté de leur lit (y compris Véra elle-même, gamine mélancolique coincée dans un corps de femme fatale). Un homme si connu qu’il arrive encore qu’on arrête Vera dans la rue pour lui parler de lui. Pour lui parler d’elle-même, il n’y a en revanche plus grand monde. Vera cherche aujourd’hui un nouveau sens à sa vie, tentant de nouer un contact chaleureux avec quiconque croise sa route, pas dupe des obstacles qui l’attendent.

Un phénomène récurrent se produit régulièrement dans sa vie : ses interlocuteurs la prennent pour la dernière des andouilles, et soudain les solutions se débloquent comme par magie quand ils apprennent qui est son père. Ce quiproquo a quelque chose de pathétique mais il donne lieu à des scènes étonnantes : à la fois drôles et poignantes, sans qu’un ton vienne prendre le pas sur l’autre. Loin de la cruauté malicieuse que l’on pourrait attendre de la part de leurs compatriotes autrichiens, le duo de cinéastes Tizza Covi et Rainer Frimmel posent un point de vue bienveillant sur Vera et sur toutes ses nuances. Sans naïveté ou sentimentalisme (le film est loin d’être dénué d’humour et Vera n’est pas toujours tendre avec elle-même), ils parviennent à redonner à leur héroïne la dignité dont son entourage et les inconnus la privent au quotidien. C’est une vraie réussite d’écriture cinématographique, et ce n’est pas la seule.

Depuis sa première l’an dernier à la Mostra de Venise, Vera a fait le tour des plus grands festivals de documentaires (dont CPH:DOX, où il a été primé), alors qu’il ne s’agit justement pas d’un documentaire. Ou plutôt pas exactement. Chacun joue ici une version fictionnalisé de lui-même (dont l’amie de Vera, Asia Argento, une autre « fille de ») dans des scènes écrites et jouées exprès pour la caméra. Le scénario s’inspire-t-il d’épisodes réellement arrivés à Vera ? Le film serait-il davantage « faux » si ce n’était pas le cas ? Là encore, le jeu ne se fait pas au dépend de Vera, qui participe activement à composer cet autoportrait, au même titre que les cinéastes. Le résultat est un drôle de vrai/faux documentaire rocambolesque, à la protagoniste particulièrement attachante.

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par Gregory Coutaut

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