Entretien avec Katarzyna Kijek & Przemysław Adamski

Visible librement sur la chaîne YouTube Bang Bang et en bas de cet article, Slow Light du duo polonais composé de Katarzyna Kijek et Przemysław Adamski raconte l’histoire d’un jeune garçon diagnostiqué aveugle à la naissance, et qui découvre qu’il lui faut sept ans pour que ce qu’il voie atteigne sa conscience. C’est une évocation poétique du temps, servie par une animation inventive. Nous avons rencontré les cinéastes.


Quel a été le point de départ de Slow Light ?

On peut dire que le fait de vieillir a contribué au processus de réflexion derrière le scénario. Les années se succèdent, on passe en un éclair de 2007 à 2015 et on a besoin d’un certain temps pour comprendre tout ce qu’on a pu vivre. La comparaison qui nous est venue à l’esprit tient à la façon dont nous percevons le cosmos : de quelle manière voyons-nous sa forme passée, puisque son image dans le présent ne nous est pas encore parvenue. En fait, nous avons réalisé que techniquement, nous ne pouvons voir que le passé, car il faut toujours un certain temps pour que la lumière éclaire n’importe quel objet, même proche, et que cette vision atteigne nos yeux. Nous avons essayé d’appliquer cette allégorie au scénario mais nous voulions l’imbriquer dans notre protagoniste, établir un commentaire clair sur sa perception tardive de la réalité.

Nous avons fait une recherche approfondie, concernant notamment les descriptions d’expériences menées par Lene Hau (qui a réussi à ralentir le faisceau de lumière à 17 mètres par seconde), et les livres d’Oliver Sacks, entre autres. De cette façon, nous avons imaginé le concept d’yeux denses qui ralentissent la lumière. Nous avons étendu la possibilité physique et nous nous sommes mis d’accord sur un décalage de sept ans. Le nombre est basé principalement sur la théorie de Rubin Steiner concernant les jalons de sept ans dans le développement humain, de la petite enfance à l’âge adulte, en passant par l’enfance.

Nous avons également pris en compte la croyance populaire selon laquelle, en raison de la renaissance des cellules de notre corps, il ne reste plus une seule cellule dans notre organisme qui l’a constituée il y a sept ans, donc techniquement, nous sommes une entité entièrement nouvelle pour notre moi passé.



Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre technique d’animation assez inhabituelle et son aspect « tactile » ?

Le film est réalisé à partir de deux techniques d’animation car nous voulions que le décalage temporel et les deux lignes narratives soient clairement perceptibles. Choisir une animation 2D image par image pour représenter le passé était un choix évident faisant traditionnellement écho à des événements révolus. Pour représenter le présent, nous avions besoin de quelque chose de tactile, mettant l’accent sur le contact avec la réalité par le toucher. Nous nous sommes inspirés des modèles en relief exposés dans les galeries et les musées pour aider les visiteurs aveugles et malvoyants. Nous avons utilisé cette animation tactile à plusieurs reprises, jusqu’à en perfectionner le processus.

Nous voulions créer les cadres de manière physique pour souligner l’importance du toucher – un sens crucial pour vivre ici et maintenant, mais qui est aussi extrêmement limitant et subjectif ; et cela sert notre narration. Nous avions à l’esprit le vieux conte des cinq aveugles et d’un éléphant, où chacun a une idée différente de l’animal qu’il touche, car l’éléphant est impossible à étreindre dans sa totalité. C’est une représentation parfaite d’une perspective limitée sur la vie. Par ailleurs, nous avons gardé une imagerie plutôt simple, et même enfantine de temps à autre, afin de suggérer l’immaturité du protagoniste.



Comment avez-vous travaillé sur la représentation de la cécité ?

Même si nous avons choisi de faire des yeux un élément central de la narration, la déficience visuelle n’est pas littéralement le sujet de notre film. Pour cette raison, nous avons essayé d’éviter toute attitude stéréotypée attribuée à la cécité. Notre protagoniste est autonome et n’utilise pas de canne blanche ni de lunettes noires. La condition fictive dont il souffre met avant tout en valeur le sujet de l’incapacité à comprendre la réalité.



Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Depuis que nous avons commencé à nous intéresser à l’animation, nous avons toujours admiré la brièveté des images et la narration métaphorique des films de Jan Lenica, ainsi que la recherche constante d’innovation de Zbig Rybczynski. Nous chérissons l’ensemble de l’œuvre de Charlie Kaufman et le bricolage audacieux des films de Michel Gondry.


Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

La nouveauté est un concept délicat de nos jours, mais il y a certainement des choses qui nous affectent comme Of Wood d’Owen Klatte – un projet inhabituel qui se démarque de tout ce que nous avons vu dans les festivals au cours de la dernière année. Et puis Everything, Everywhere, All At Once qui a nous a offert tout ce que nous attendions des Daniels ; ils nous ont habitués à une vision spécifique de la réalité et ont réussi encore une fois à faire forte impression.



Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 11 janvier 2023. Un grand merci à Pascal Knoerr et Laure Goasguen.

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