Critique : R.M.N.

Quelques jours avant Noël, Matthias est de retour dans son village natal, multiethnique, de Transylvanie, après avoir quitté son emploi en Allemagne. Il s’inquiète pour son fils, Rudi, qui grandit sans lui, pour son père, Otto, resté seul et il souhaite revoir Csilla, son ex-petite amie. Il tente de s’impliquer davantage dans l’éducation du garçon qui est resté trop longtemps à la charge de sa mère, Ana, et veut l’aider à surpasser ses angoisses irrationnelles. Quand l’usine que Csilla dirige décide de recruter des employés étrangers, la paix de la petite communauté est troublée, les angoisses gagnent aussi les adultes. Les frustrations, les conflits et les passions refont surface, brisant le semblant de paix dans la communauté.

R.M.N.
Roumanie, 2022
De Cristian Mungiu

Durée : 2h05

Sortie : 19/10/2022

Note :

LE RAYON VERDÂTRE

Matthias, l’antihéros de R.M.N. (joué par Marin Grigore, vu notamment dans Sieranevada et #dogpoopgirl), doit à un moment du long métrage emmener son père souffrant passer une IRM (RMN en roumain). L’IRM dont il est question dans le nouveau film de Cristian Mungiu ne se limite pas à celle d’un vieux parent en fin de vie – c’est celle d’un village, d’une région, d’une société entière, du monde : on doit bien avouer que ce titre n’est pas la métaphore la plus légère du long métrage.

Le film est sentencieux et effectivement, il se pose là. Mais on peut d’ores et déjà reconnaître à Mungiu et à son directeur de la photographie Tudor Vladimir Panduru (qui a travaillé ces dernières années sur les impressionnants Malmkrog et Intregalde ou plus récemment sur Metronom) une utilisation assez remarquable du cadre et de la profondeur de champ ; c’est là une composition forte qui permet parfois au film de ne pas toujours se limiter à une illustration de scénario.

R.M.N. s’installe peu à peu dans un décor de conte, et même de conte de Noël, mais son récit est essentiellement réaliste. Le film se déroule dans une région multiculturelle où Roumains, Hongrois et Allemands peuvent se côtoyer, sans parler d’un chercheur français de passage ou de travailleurs sri-lankais exilés. Au cœur de la Transylvanie, c’est une allégorie à la fois de l’Europe et de la mondialisation que Mungiu dessine. Sous son bleu froid, le film est très sérieux – ce qu’on comprend aisément – mais il semble aussi avoir le nez collé sur son sujet tout le temps : R.M.N. est imposant pour le meilleur, mais parfois aussi pour le plus laborieux.

Le cinéaste réussit pourtant le portrait puissant d’un village des damnés où la paranoïa raciste et rance règne. Cela peut viser les étrangers venus travailler dans la région, mais aussi les gars du village d’à côté. Ce village des damnés n’a plus de connotation fantastique, il est parfaitement et tristement quotidien, il est roumain comme il pourrait être français, et le fait divers dans un coin perdu de l’Europe sert habilement de révélateur.

Le principal morceau de bravoure est une scène d’agora où les habitants se retrouvent (et s’écharpent) au sujet de la présence d’employés étrangers dans la boulangerie industrielle du coin. Un tribunal public, des pensées moisies exprimées sans gêne, des esprits qui s’échauffent et au centre une héroïne au bord du rouleau (l’excellent Judith State, vue récemment dans Après la nuit) ? Voilà un moment qui rappelle le segment dantesque de l’Ours d’or Bad Luck Banging or Loony Porn du Roumain Radu Jude, dans lequel une enseignante dont une vidéo intime a fuité sur internet doit répondre à des parents fous de rage. Le ton est extrêmement différent et la comparaison n’est pas à l’avantage de Mungiu : Jude n’a pas peur du grotesque et laisse entrer la folie dans son film dont le propos devient plus ample et plus riche. Mungiu est lui dans un classicisme peut-être plus frustrant et scolaire, mais il sait aussi raconter l’ambiguïté des situations.

On pense, par exemple, à la patronne de la boulangerie qui semble in fine agir pour obéir davantage au politiquement correct qu’à ses propres convictions. On pense au décrochage final surréel qui empêche le film d’être trop cadenassé. Certains éléments semblent difficilement s’imbriquer dans le récit (comme l’utilisation de ce papa faible et mascu qui rate tout ce qu’il touche) mais Mungiu mène à bien un récit solide, pertinent et dont la proximité est effrayante.

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par Nicolas Bardot

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