Les Arcs Film Festival | Critique : True Things

Une jeune femme vivant en marge de la société se laisse happer par un inconnu qui bouleverse son quotidien tranquille.

True Things
Royaume-Uni, 2021
De Harry Wootliff

Durée : 1h42

Sortie : –

Note :

BOUSCULE-MOI UN PEU

Kate dit en plaisantant que sa vie est pire qu’une prison. Sauf que ni son interlocuteur, ni les spectateurs, ni elle-même ne sont dupes de cet humour de façade. Kate étouffe dans sa vie solitaire entre pizzas surgelées mangées devant la télé et un boulot sans intérêt où une vague collègue lui fait office de meilleure amie, à défaut de véritable camarade à l’extérieur. Surtout, Kate n’aurait jamais le culot ou le courage de s’en plaindre. Elle serait plutôt du genre à baisser les yeux comme une fillette lorsque ses parents et son entourage la traitent avec une gentillesse condescendante. Le temps d’une séquence à la cruauté fugace, on la voit même accepter de se faire gronder comme une gamine, avant de réaliser que la réprimande s’adressait justement… à un enfant. Kate a beau être adulte, elle est invisible.

Son travail l’amène un jour à rencontrer un sombre inconnu, comme le dirait une prédiction artificielle d’horoscope. Celle dont la seule expérience de romance consiste à aller espionner les comptes Instagram des couples modèles avides de partager les « vraies choses » de leur vie à deux, tombe immédiatement sous le charme du sourire de fauve de ce mauvais garçon sans nom, tout juste sorti de prison, qui vient bousculer son quotidien. Est-elle en train de tomber dans un panneau trop gigantesque pour être vrai ? True Things pourrait virer au thriller érotique digne du début des années 90, sauf que cela reviendrait à faire de son héroïne une poupée naïve. La réalisatrice Harry Wootliff est au contraire bien trop proche de son personnage. Tant mieux.

True Things est un film qui épouse un point de vue féminin, au sens propre. La caméra épouse colle au regard de Kate, et le fait parfois au sens littéral : une scène en particulier donne l’impression d’entrapercevoir son quotidien à travers ses cils mouillés de larmes. Si l’écriture est incisive, la mise en scène l’est tout autant. Les scènes sont brèves, se concentrent sur des détails et des gros plans, dans un puissant effet immersif. Cette mise en images particulièrement sensorielle met non seulement en valeur les performances de Ruth Wilson (une fois de plus remarquable) et Tom Burke (la révélation de The Souvenir), elle traduit aussi le caractère insaisissable de Kate. Ni biche aux abois ni folle de service, Kate possède en guise de gouvernail une fierté et un humour tordu qui lui apportent beaucoup de relief.

Ceux qui attendent une ligne narrative classique et claire risquent d’être déboussolés par ce film qui lance différentes pistes (violence conjugale ? trouble psychologique ? frontière fantastique ?) sans donner de point final. La danse fascinante de True Things ressemble à la démarche funambule d’une personne ivre, une plongée en apnée dans le courant de conscience de sa passionnante héroïne, où chaque image possède de la personnalité et un charme intranquille. Repérée outre-manche avec son précédent film Only You (inédit chez nous), Harry Wootliff fait partie de cette nouvelle génération de cinéastes britannique qui, pour une raison ou un autre, ne trouve pas le chemin des salles française (on peut citer les cas de Mark Jenkin, Daniel Kokotajlo parmi d’autres). On espère qu’après sa sélection à la Mostra, cette poignante réussite trouvera un distributeur chez nous.

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par Gregory Coutaut

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