Fabian est seul depuis que toute sa famille est partie vivre à l’étranger, Joaquin gagne trop peu d’argent pour nourrir ses enfants. Tous deux bénéficient des froides largesses d’une usurière, que l’un d’eux finit par tuer ; mais c’est l’autre qui paie. Errant comme des volatiles sans tête à la recherche d’un sens auquel se fier, ils révèlent peu à peu dans leurs réflexions respectives, en prison, au café ou parmi des religieux paumés, ce qui reste de l’humanité quand tout la met en joue.
Norte, la fin de l’histoire
Philippines, 2013
De Lav Diaz
Durée : 4h10
Sortie : 04/11/2015
Note :
JUGEMENT DERNIER
Difficile de passer outre l’impressionnante durée de Norte, la fin de l’histoire ? Ces quatre heures sont pourtant bien peu comparées à la durée des précédents films de Lav Diaz (six heures, voire huit pour son Melancholia). Mais ce nouveau long métrage frappe surtout par son incroyable fluidité, son rythme placide mais jamais pesant, sa grande simplicité. Certes, la simplicité n’est pas forcément ce qui saute aux yeux dans cette scène d’ouverture où des jeunes intellectuels philippins discutent l’air de rien, dans un café, de la fin des idéologies, de la vérité et du sens. Mais il faut dépasser cette première impression pour plonger dans un récit se construisant peu à peu, qui prend son temps mais ne le fait jamais de manière austère, avec un sérieux artificiel ou trop affecté.
Norte… est au contraire un film profondément lumineux. D’abord au sens propre, car Lav Diaz découpe son film en plans tous plus beaux les uns que les autres, superbement composés, éclairés et mis en valeur par de lents travellings. Mais surtout parce que, même si les deux protagonistes manquent cruellement de sérénité, le film se situe bien plus du côté de l’espoir que dans la tragédie noire.
La trame est tellement classique qu’elle semble tout droit sortie d’un mythe. Deux jeunes hommes que tout oppose : l’un est un étudiant aisé dont l’idéalisme politique vire au fanatisme, l’autre un ouvrier luttant péniblement pour ramener de quoi nourrir sa famille. Ils ne se connaissent pas mais partagent la même ennemie (une prêteuse sur gage haute en couleur) et vont être liés par un crime que l’un commettra mais dont l’autre se retrouvera accusé.
La force de Norte… est de filmer aussi bien l’avant que l’après-crime, d’en faire presque un micro-événement dans cette histoire de culpabilité. Pour le coupable comme pour l’innocent, ce crime ne change rien, chacun reste prisonnier d’une geôle réelle ou mentale. Il est souvent question de la fin du monde dans Norte…, une dimension mystique que l’on retrouve jusque dans son titre. Et si chacun cherche l’aide de Dieu, ce n’est qu’au terme d’un dénouement inattendu que chacun trouvera l’issue à son angoisse : par la grâce, la mort ou l’abandon.
Lav Diaz confirme son talent de réalisateur hors-pair. Son film possède une voix unique, loin du cinéma philippin social-bouillonnant que l’on commence pourtant à connaître de mieux en mieux. Norte… prend plus d’un contrepied inattendu, ne serait-ce qu’en filmant des personnages aisés, des artistes citant Lénine ou Marx et parlant latin autour d’une tasse de thé. Parmi ce groupe d’intellectuels se trouve notamment un personnage secondaire mais pas anodin. Une femme trans mais dont l’identité de genre n’est strictement jamais abordée par le scénario, un personnage traité comme absolument tous les autres, qui se retrouve même l’espace d’un instant envisagé comme le sauveur de la situation. Cette femme, Moira, est d’ailleurs dans la vraie vie la scénariste et productrice du film. Sa présence assumée sans être revendicatrice est bien la preuve qu’aux Philippines, on a parfois deux trains d’avance : socialement et cinématographiquement. Norte… en est l’un des exemples les plus excitants.
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par Gregory Coutaut