Les Arcs Film Festival | Entretien avec Andreea Cristina Borțun

Le remarquable When Night Meets Dawn a fait sa première mondiale dans la sélection courts métrages de la Quinzaine des Réalisateurs. La Roumaine Andreea Cristina Borțun suit les traces d’un adolescent, lui-même à la recherche de son ami. Ce film lumineux, à l’étrangeté poétique, a la qualité d’un rêve. Il est sélectionné cette semaine aux Arcs Film Festival. Cette réalisatrice à suivre de près est notre invitée.


Quel fut le point de départ de When Night Meets Dawn ?

C’était en 2014, et tout est parti d’une image : un petit matin de juin, deux garçons dans un parc qui écoutaient de la musique en partageant la même paire d’écouteurs. Je suis rapidement passée devant eux, certaine que je ne les reverrais plus jamais. Mais par la suite je me suis souvent retrouvée à repenser à cette image, que je ne pouvais visiblement pas oublier, ainsi qu’à cette sensation quasi-érotique présente dans la nature, dans cette heure-là du matin, dans la chair des feuillages, dans la respiration lourde des joggers, leur dopamine et leurs corps en sueur. Plus tard, j’ai essayé de faire naitre une dramaturgie de cette image et cette sensation. Mais pendant longtemps, je n’ai pas été en mesure de trouver une forme narrative qui soit fidèle à la fois au mystère et à l’intensité de ce sentiment presque invisible.

J’ai commencé le casting après avoir reçu le financement, et cela s’est transformé en une sorte d’atelier avec un groupe d’adolescents. Cela s’est étalé sur plusieurs mois, car j’avais l’impression de ne plus savoir pourquoi je voulais raconter cette histoire. J’ai donc pris mon temps pour comprendre à nouveau. Le confinement a commencé en mars 2020 et bien sûr, nous avons dû reporter le tournage. J’ai donc dû réécrire et adapter le scénario. J’ai alors décidé que j’allais tout recommencer. Avec le recul, j’en suis très heureuse parce que la dernière ébauche du script était la seule qui a réussi à réellement capturer quelque chose de ce que j’avais ressenti ce matin-là en 2014.

Vous faites une utilisation bien particulière de la lumière et de la couleur. Comment avez-vous appréhendé le traitement visuel de cette histoire ?

La lumière est quelque chose que je chéris beaucoup dans le cinéma. Dans la vie de tous les jours également, j’investis beaucoup d’énergie pour essayer de la capturer au mieux. La lumière fonctionne comme une sorte de madeleine de Proust chez moi, dans le sens où elle est toujours chargée d’une histoire qui apporte du sens ou transmet une émotion. Dans ce film, nous savions que nous voulions compter autant que possible sur la lumière naturelle, mais nous étions en même temps conscients que cela nous rendaient hautement dépendants des conditions naturelles. L’une des décisions les plus importantes que nous avons prises à ce sujet concernait les scènes nocturnes : nous avons choisi de les tourner en nuit américaine, plutôt que d’utiliser une lumière artificielle.

La lumière a tellement d’importance dans le film que la journée de ce garçon en devient déséquilibrée, puisque nous l’observons essentiellement au matin et à l’aube. Dès le départ, nous avons envisagée la lumière comme un élément accompagnateur du voyage intérieur du héros. Je n’ai pas réussi à trouver de référence visuelle exacte qui utilisait les schémas lumineux que j’avais en tête, et qui devaient être en mesure de souligner de façons exponentielle l’atmosphère des scènes. En ce qui concerne la palette de couleurs, celle-ci me vient généralement directement des lieux que je découvre. Ces lieux servent également de source d’inspiration pour le développement du récit, eux aussi viennent souligner l’émotion principale du personnage.

En présentant votre film, vous dites avoir commencé à vous intéresser « à ce moment précis de la vie intime des adolescents, où ils tentent de comprendre leur rapport érotique au monde ». Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Je dirais que le film tente de mettre en équation plusieurs types d’attraction, plutôt que se focaliser avec certitude sur un seule état d’être. Le film s’est toujours appelé When Night Meets Dawn parce qu’en son cœur-même réside un sentiment ambigu qui mélange anxiété et impatience, or c’est une sensation que j’ai toujours associé au moment précis où la nuit est sur le point de prendre fin. C’est un moment que je qualifierais d’incertain, d’oppressant, et qui se termine toujours en silence. Un moment où point soudain l’idée écrasante que la nuit pourrait bien ne jamais se terminer. Puis, inévitablement, cette anxiété se dilue à mesure que le jour avance. En ce sens, j’ai envisagé la scène de nuit dans le jardin comme une scène de rencontre entre le personnage et certains aspects de lui-même qu’il ne comprend pas encore très bien.

Qui sont vos cinéastes de prédilection et/ou qui vous inspirent ?

Je dirais Kleber Mendoca Filho, Céline Sciamma, Carlos Reygadas, Andrea Arnold, John Cassavetes, Lemohang Jeremiah Mosese, Pedro Costa et Cristi Puiu.

Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de voir quelque chose de neuf, de découvrir un nouveau talent ?

Cela m’est arrivé en regardant L’Indomptable feu du printemps de Lemohang Jeremiah Mosese. Pour moi ce film est comme un bijoux précieux, je n’avais jamais vu cela auparavant. Il y a là une forme de lyrisme, ainsi que quelque chose de très intense et profond, et tout cela nous est apporté de façon incroyablement élégante, à travers un langage très personnel. C’est l’une des œuvres les plus fortes que j’ai vues au cours des deux dernières années.

Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 9 juillet 2021. Un grand merci à Kathleen McInnis.

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