Festival de Séville | Critique : Europa

Kamal fuit l’Irak pour tenter de rejoindre la « Forteresse Europe ». Sur son chemin sévissent à la frontière de la Turquie et de la Bulgarie des mercenaires qui organisent une véritable chasse aux migrants. Seul dans la forêt, Kamal a 3 jours pour leur échapper.

Europa
Italie, 2021
De Haider Rashid

Durée : 1h12

Sortie : –

Note :

LA FORTERESSE CACHÉE

L’Europa du titre de ce long métrage réalisé par l’Irako-italien Haider Rashid est la forteresse dans laquelle le jeune Kamal tente de pénétrer, à la périlleuse frontière entre la Turquie et la Bulgarie. Mais de l’Europe, on ne verra rien ou presque, juste une forêt anonyme. Europa est habité par un sentiment d’urgence et pourtant ce décor, avec sa riche végétation, ses rivières et ses ombrages, paraît paisible. Cela fait partie des contrastes que Rashid travaille dans son long métrage, à l’image de ce premier plan sous la lune qui souligne aussi bien l’expérience de la clandestinité qu’il évoque des motifs de conte.
 
Europa raconte de manière glaçante les enfers successifs, officiels ou non, qui s’abattent sur les migrants. C’est une suite d’épreuves, avec un hélicoptère qui survole les bois comme s’il s’agissait d’une zone de guerre. Europa est un pur survival, mais le cinéaste a le bon goût de ne jamais filmer son récit comme un thriller. Il y a ici une immersion quasiment en VR, un puissant effet de réel. Mais le parcours de Kamal n’est pas transformé en spectacle : la caméra reste aussi proche du héros que possible, au sens propre et au sens figuré.
 
Rashid s’attarde régulièrement sur le visage de Kamal, qui au centre de tout. Cette caméra au plus près fait qu’on ne distingue pas toujours clairement l’action – le but ici ne semble clairement pas de chorégraphier, c’est une plongée dans le chaos, auprès d’un protagoniste sur le qui-vive dont le passeport part en morceaux. Haider Rashid fait le pari audacieux et très réussi d’une soustraction radicale : un protagoniste, pratiquement pas de dialogues, une ligne narrative, une durée très réduite. Et c’est grâce à cette retenue que la puissance du récit s’exprime.
 
Lors d’une scène où l’on écoute un autoradio, la tension monte alors même que ce qui est dit n’est sciemment pas traduit. Par sa qualité d’écriture, Haider Rashid saisit, sans mettre en scène de suspens, l’urgence dans laquelle Kamal se trouve, la chasse dont il est victime là, à notre porte. Le film témoigne d’une puissance politique, pas seulement par son sujet mais aussi par ses choix de mise en scène. L’ambiguïté des comportements peut passer par la façon dont des mouvements sont filmés, ou  laissés hors champ. Voilà un long métrage impressionnant, d’une grande intelligence et qui se montre à la hauteur de son sujet.

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par Nicolas Bardot

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