Critique : Generation Utøya

Generation Utøya fait le portrait de quatre jeunes femmes qui ont toutes survécu à l’attaque terroriste d’Utøya en 2011. Chacune se bat pour les valeurs auxquelles elle croit. Elles ont été témoins de l’exécution de leurs amis par le terroriste, et luttent aujourd’hui contre le stress post-traumatique et l’angoisse. Mais elles ont choisi d’affronter la peur et de faire face à la haine avec un engagement fort dans la politique et le bénévolat.

Generation Utøya
Norvège, 2021
De Aslaug Holm et Sigve Endresen

Durée : 1h40

Sortie : –

Note :

APRÈS LA TEMPÊTE

La tragédie d’Utøya, avec le massacre perpétré en 2011 par le terroriste d’extrême-droite Anders Behring Breivik, a déjà été examinée de diverses manières par le cinéma norvégien. Utoya, 22 Juillet de Erik Poppe est une fiction qui se déroule pendant cette tragédie, et dont le parti-pris politique est de donner un visage aux victimes, d’être auprès d’elles durant tout un plan-séquence, tandis que le terroriste reste hors du cadre. Reconstructing Utøya de Carl Javer est, lui, un documentaire sur l’après, dans lequel des survivant.e.s partagent leurs souvenirs dans un studio, à travers un dispositif expérimental de distanciation où les protagonistes vont être amené.e.s à recréer ce qui s’est déroulé pendant le drame. Le point de vue de Generation Utøya, qui vient d’être dévoilé au Festival Hot Docs, est encore différent : c’est également un documentaire, mais celui-ci raconte la vie et la réinsertion concrètes de plusieurs survivantes, alors qu’on commémorera cet été les dix ans du drame.

Dans un premier temps, comme on peut s’y attendre, Generation Utøya se penche de manière poignante sur les conséquences traumatiques d’une telle histoire. On revient sur l’île, on évoque des souvenirs heureux, d’autres terrorisants. Quels effets, des années plus tard, sur la psychologie ? Quels effets sur les convictions des personnes attaquées ? Il ne faut pas oublier que ce qui s’est passé à Utøya est un attentat politique, visant spécifiquement un camp organisé par la Ligue des jeunes travaillistes du Parti travailliste norvégien. Le film s’intitule Generation Utøya, et ce n’est pas qu’un slogan vide. Il raconte comment l’on peut perdre la vie pour des convictions politiques – quand bien même celles-ci seraient progressistes et pacifiques. Mais il raconte aussi l’impact sur une génération et sa volonté politique de continuer le combat.

Aslaug Holm (qui s’était déjà distinguée avec le très beau et plus intimiste Brødre: Markus et Lukas, sorti chez nous en 2018) et Sigve Endresen racontent différents parcours sans jamais les priver de leur complexité. Certaines survivantes sont pleinement engagées dans la politique, d’autres peinent encore à se libérer du traumatisme. Chez celles qui s’engagent trotte toujours en tête la menace des extrémistes à laquelle on peut s’exposer en s’exprimant publiquement. Les jeunes gens ou les grandes ados de 2011 sont désormais bien adultes, et doivent faire face à leurs responsabilités d’adultes. Cette question de la responsabilité est également évoquée de manière collective, lorsque l’on questionne la responsabilité d’une société qui produit des Breivik.

Generation Utøya pourrait être un galvanisant portrait de résilience – c’est ce qu’il est en partie, mais en réalité les choses sont malheureusement moins simples. Holm et Endresen dépeignent un trauma à la fois personnel et collectif, qui a évidemment eu un impact national – mais cela n’empêche pas les survivantes, des années plus tard, de continuer à recevoir des menaces d’anonymes. Cela n’empêche pas une ex-ministre de la Justice de sous-entendre publiquement que les Travaillistes ciblé.e.s par l’attentat ont été coupables de laxisme. Après l’union de façade, les cinéastes racontent le repli et les désillusions. Ces choses qui ne sont jamais acquises, les valeurs défendues face aux fascistes, la normalisation de l’extrême-droite.

C’est la complexité et l’amertume de ce portrait politique qui font la richesse de Generation Utøya. Mais cette notion de génération implique aussi une forme d’espoir. Face aux embûches, la caméra se concentre sur les combats de quelques jeunes femmes qui symbolisent le futur. Un futur qui n’est pas donné, et pour lequel il faudra se battre plus qu’on ne l’imagine. Le documentaire, plus largement, évoque une génération qui a conscience très tôt du moment fatidique qu’elle traverse, notamment sur la question de l’environnement. C’est un film sur le courage, mais aussi sur les cauchemars qui reviennent. C’est un film nuancé qui ne réduit par ses protagonistes au strict statut de victime ou d’héroïne invincible. Et derrière les chansons, derrière les mots doux accrochés aux arbres, Generation Utøya explore de manière puissante un combat qui se poursuit.

| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |

par Nicolas Bardot

Partagez cet article