Critique : Kajillionaire

Theresa et Robert ont passé 26 ans à former leur fille unique, Old Dolio, à escroquer, arnaquer et voler à chaque occasion. Au cours d’un cambriolage conçu à la hâte, ils proposent à une jolie inconnue ingénue, Mélanie, de les rejoindre, bouleversant complètement la routine d’Old Dolio.

Kajillionaire
États-Unis, 2020
De Miranda July

Durée : 1h46

Sortie : 30/09/2020

Note :

ASSOCIATION DE MALFAITEURS

Cela faisait presque dix ans qu’on attendait impatiemment des nouvelles cinématographiques de Miranda July. Depuis le singulier The Future en 2011, la réalisatrice n’a pourtant pas chômé. On l’a vue autrice, metteuse en scène, actrice sur scène et à l’écran, elle a créé une application mobile et même lancé un service de voyance par mail, entre autres propositions artistiques imprévisibles. Des projets tous farfelus, tous très sérieux, et tous d’une chaleureuse mélancolie. Une formule qui correspond bien à Kajillionaire, qui cache derrière son titre fantasque et ses faux airs convenus de comédie indé une rêverie étrange et émouvante.

Old Dolio (Evan Rachel Wood, méconnaissable) vit encore avec ses parents. Ils ont passé des années à la former pour devenir une arnaqueuse de première, comme eux. Sauf que les escroqueries de ces trois pieds nickelés maladroits ressemblent moins aux cambriolages élaborés d’Ocean’s 11 qu’à des simagrées saugrenues faites de bouts de ficelles. Cette bouffonnerie pourrait servir de seul moteur à Kajillionaire mais July, avec un extraordinaire sens du détail, fait rimer burlesque et grotesque jusque dans l’expression physique de ses acteurs, jusqu’à ce que la farce se transforme en un spleen lunaire. Gesticulants les bras ballant dans ses fringues XL, Old Dolio semble moins s’éclater qu’obéir à une angoissante chorégraphie.

Miranda July, qui a changé de nom de famille à sa majorité, a grandi avec des parents adeptes du New Age et qu’elle qualifie elle-même de DIY (Do It Yourself, qu’on pourrait traduire par « faites-le vous-même » ou plutôt ici « de bric et de broc »). Difficile de ne pas en voir un reflet dans le placard à balais où vivent Old Dolio et ses parents, scène de théâtre pour la plus absurde et clownesque des relations abusives, où les murs dégoulinent de mousse comme si le refoulé voulait remonter à la surface. Dans les premiers films de July, être en couple était déjà une besogne épique et surnaturelle. Dans les étapes les plus récentes de sa carrière (son roman fou Le Premier méchant ou l’inédit Madeline’s Madeline dans lequel elle joue) et encore plus ici, c’est la structure familiale entière qui contamine de sa folie.

La famille selon Kajillionaire, c’est la plus grosse des arnaques. Un héritage encombrant. C’est un manège dont on ne parvient pas à descendre, un jeu de rôle dont personne n’est dupe mais qu’on ne peut pas quitter. C’est la sueur froide de se retrouver sans texte face à un public et de devoir improviser. C’est comme un tremblement de terre. C’est à dire que c’est l’occasion unique d’être poussé jusqu’à un point de rupture fantastique et salvateur. July ne fait rien de moins que déplacer des montagnes pour ses personnages et leur offre le plus gigantesque et poignant des basculements. Kajillionaire voit plus loin que les autres, va jusqu’au bout de son horizon et se regarde les yeux très grands ouverts.

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par Gregory Coutaut

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