I Blame Society était l’une des très curieuses découvertes du dernier Festival de Rotterdam. Dans ce premier long métrage, l’Américaine Gillian Wallace Horvat imagine le crime parfait : délivrer l’un de ses amis d’une relation toxique en tuant sa partenaire. Cette comédie noire mêle malicieusement fiction et documentaire. Gillian Wallace Horvat est notre invitée de ce Lundi Découverte.
A l’origine de I Blame Society, il y a un documentaire qui part d’un compliment que vous avez reçu, et selon lequel vous feriez une bonne meurtrière. Que pouvez-vous nous dire de ce projet inachevé ?
J’y travaillais en 2016, dans l’espoir de créer quelque chose d’hybride et d’autoréflexif à la manière d’un Werner Herzog. J’ai pris les gens qui me connaissaient le mieux et je leur ai tiré dessus dans des lieux où l’on peut typiquement se faire assassiner. Du coup j’ai interviewé ma mère et ma grand-mère près des docks de Los Angeles, mon ex petit ami sur la banquette arrière d’une voiture garée dans un terrain vague, mon ami scénariste pour la télé dans la forêt d’Angeles. Mais je n’ai finalement pas terminé le film parce que je n’ai jamais été en mesure de transcender ce mignon point de départ. Ça manquait d’un objectif plus fort.
Inclure cette partie documentaire dans I Blame Society signifiait que vous alliez devoir jouer votre rôle (ou en tout cas une certaine version de vous-même). Comment qualifieriez-vous cette expérience ?
Eh bien, à l’origine, nous pensions que le doc constituerait une plus grande partie du film, il était donc vraiment important que je me joue moi-même. En fin de compte, il ne représente qu’environ 10% du résultat final. Même si j’étais vraiment nerveuse d’être face à la caméra parce que je n’ai pratiquement aucune expérience d’actrice, j’ai aimé l’idée d’être l’actrice principale et le pouvoir que cela pouvait me donner. Cet atout est bien sûr profondément atténué par le fait de devoir jouer et diriger en même temps – vous ne pouvez pas complètement vous concentrer sur l’un et l’autre. Mais je l’ai pris comme un défi et quelque chose qui, je l’espère, améliorera ma compréhension du jeu.
Vous n’êtes pas très tendre dans votre façon de dépeindre la névrose de votre personnage, mais vous n’êtes pas tendre non plus avec les hommes qui l’entourent – et qui à mon avis méritent ce qui leur arrive. Est-ce l’une des raisons pour lesquelles vous avez choisi ce titre?
Pour moi, le titre évoque la difficulté de Gillian à assumer la responsabilité des ravages qu’elle commet. Elle blâme tout le monde pour ses difficultés… mais elle a un peu raison aussi.
Comment avez-vous trouvé le juste équilibre entre l’horreur et la comédie ?
Mélanger les tons est la chose la plus excitante qu’un cinéaste puisse faire pour empêcher le public de se complaire. Je ne veux jamais qu’il soit en mesure de prédire ce qui va arriver parce que je pense que l’imprévisibilité oblige le public à garder l’esprit ouvert. Vous pouvez insérer un message beaucoup plus transgressif lorsque vous gardez les spectateurs dans une sorte d’incertitude, et je crois que cela augmente également leur plaisir. Mes deux précédents courts sont des mélanges de tons bizarres ; par conséquent, mélanger le macabre avec le vulgaire, l’érotique avec le comique, c’est une compétence sur laquelle je travaille depuis un moment.
Quelle est la dernière fois où vous avez eu le sentiment de découvrir un nouveau talent, quelque chose d’inédit à l’écran ?
J’adore cette question ! J’ai trouvé qu’Atlantique de Mati Diop parvenait à mélanger l’horreur et la romance d’une manière bouleversante, je n’avais plus ressenti ça depuis Dellamorte dellamore de Michele Soavi et Zeder de Pupi Avati. Je regardais à nouveau White of the Eye de Donald Cammell l’autre jour et je pense que personne n’est parvenu vraiment à reproduire ce que Cammell fait dans ce film. Et un dernier : La Nuit des traquées de Jean Rollin m’a détruite. Je l’ai regardé deux fois d’affilée – voilà un film complètement unique.
Pour finir, pensez-vous que vous feriez effectivement une bonne meurtrière ?
Certainement. Mais le meurtre, c’est un crime assez sérieux qui vous vaudra beaucoup de temps en prison. Même si je pense pouvoir faire un bon boulot pour tuer quelqu’un, il reste des facteurs hors de votre contrôle. Si j’étais prise, ça n’en vaudrait pas la peine car je n’ai rencontré personne qui soit horrible au point de passer ma vie en prison pour l’avoir tuée. Enfin – je ne l’ai pas encore rencontrée.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot et Gregory Coutaut le 2 février 2020. Un grand merci à Gloria Zerbinati.
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