DVD | Critique : Todos os mortos

Brésil, quelques années après l’abolition de l’esclavage. A la mort de leur dernière domestique noire, les trois femmes de la famille Soares sont complètement désemparées dans la ville de São Paulo qui se développe de manière vertigineuse. Incapables de s’adapter aux exigences de la métropole, Isabel et ses filles Maria et Ana s’isolent et s’abandonnent à la nostalgie d’une époque révolue. Parallèlement, Iná, ancienne esclave des Soares, arrive en ville avec sa famille et se trouve confrontée à une structure sociale qui n’a pas encore intégré les Noirs affranchis comme citoyens à part entière. Les délires de plus en plus réguliers d’Ana annoncent la tragédie qui plane sur tous les personnages…

Todos os mortos
Brésil, 2020
De Marco Dutra & Caetano Gotardo

Durée : 2h00

Sortie : disponible en dvd et vod

Note :

LES RELIQUES DE LA MORT

Maria, bonne sœur, avance dans dans escaliers sombres, un flambeau à la main. Elle sursaute, comme si quelque chose était là à la surveiller, tapi dans l’obscurité. Cette scène ressemble à un pur archétype de fantastique mais rien, strictement rien ne va être véritablement comme on l’attend dans Todos os mortos : ni le film surnaturel qu’on imagine, ni le film d’époque qui semble sauter aux yeux. Le long métrage se déroule à un moment de bascule, au crépuscule du 19e siècle, lors d’une ère de changements sociétaux pour le Brésil. Mais là encore, la bascule ne s’effectue pas de manière si nette, dans le pays comme dans la riche demeure des Soares.

Ce qui manque à Isabel après la mort de son esclave : le café qu’elle lui préparait ainsi que les moments où elle lui lavait les pieds. Cela fait dix ans que l’esclavage a été aboli au Brésil, mais qu’en reste t-il dans les structures sociales, dans les rapports de classe ? Pour les Soares, l’Europe est « l’origine de tout », l’Afrique est un grand magma indistinct, le ton est à cette espèce de paternalisme que les colons imaginent bienveillant et magnanime. Todos os mortos observe de manière inédite la blanchité et son hégémonie dans un monde qui semble avancer… mais bouge t-il vraiment ? Pour qui ? Sorti il y a quelques années, le premier long métrage de Caetano Gotardo se nommait O que se move, littéralement ce qui bouge. Voilà un titre qui aurait pu fonctionner aussi ici, dans un film où l’on sent un monde qui s’agite, mais où l’on observe aussi un autre qui semble figé à jamais.

On entend, au loin, la musique de la fanfare. Çà et là, des bruits de la ville, des bruits surprenants qui font plonger Todos os mortos dans une autre dimension que celle du film de costumes en salon – un élément qu’on vous laissera découvrir. Ana est persuadée que la maison est hantée, que les anciens esclaves observent. On en revient à l’idée de blanchité, à cette espèce de centralité neutre : forcément, ce sont les Soares que les anciens esclaves regardent. Dutra et Gotardo ont cette idée forte et belle d’imaginer que personne ne les regardent. Que cette famille aristocratique en déclin est une famille fantôme, recroquevillée sur son passé. Qui creuse sa propre tombe. Todos os mortos, nous avait pourtant prévenu le titre.

Le film tire une dimension à la fois poétique et spectrale de sa lenteur. Mais celle-ci pèse aussi un peu sur le récit, comme ces scènes extrêmement dialoguées qui privent Todos os mortos de plus de fluidité narrative. Ces réserves mises à part, le long métrage, visuellement resplendissant (et dont la photographie a été signée Hélène Louvart), délivre un discours politique d’une perspective inédite et ne ressemble à à peu près rien de connu.

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par Nicolas Bardot

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