Entretien avec Wang Quan’an

Le Chinois Wang Quan’an signe l’un des films les plus stupéfiants visuellement de l’année avec La Femme des steppes, le flic et l’œuf. Cette pépite magique raconte une surprenante enquête dans la steppe mongole. Couronné cet automne au Festival des 3 Continents, Wang Quan’an nous en dit plus sur ce film qui, après sa sortie en salles cet été, est disponible dès ce 1er décembre en dvd.


Quel a été le point de départ pour ce film ?

Comme vous le savez, ce n’est pas la première fois que je tourne en Mongolie. J’y avais déjà tourné Le Mariage de Tuya. J’aime beaucoup le genre d’espaces que l’on trouve là-bas. Les Mongols ont un mode de vie nomade, ils ont donc une relation très étroite avec la nature. Or, c’est quand on se trouve dans une telle nature qu’on a assez d’espace pour enfin pouvoir réfléchir sur nous-mêmes. De plus, le film est basé sur une histoire vraie, mais les événements en question se sont déroulés en Chine. Le protagoniste était un policier chinois, or c’est très difficile de faire des films sur la police chinoise, même si La Femme… n’est pas un film politique à proprement parler.

L’un des vos personnages dit « ce que l’on voit avec nos yeux humains, ce n’est pas forcément la réalité ». Est-ce une idée que vous avez en tête quand vous faites des films ?

Cette idée ne surprendra pas quiconque a quelques connaissances sur les cultures et les spiritualités orientales. Pour nous, le monde est une illusion. Ce que l’on voit n’est pas la vérité, et la vérité est différente de ce que l’on voit. Cela signifie qu’on doit toujours porter un regard ouvert sur le monde. Les humains pensent souvent qu’ils sont au-dessus des choses, au dessus de la nature. Ce que montre le film, c’est qu’au contraire nous ne sommes pas grand chose face à la nature, qu’elle peut nous apprendre des choses, et surtout nous changer.

Est-ce une idée que vous essayez de traduire par la manière particulière don vous composez et travaillez vos images ?

J’ai voulu que la nature soit la plus majestueuse possible. Pour de nombreux Chinois, ces steppes ont l’image d’une zone morne et désolée. Je voulais leur rendre leur splendeur. C’est pour ça que j’ai voulu travailler avec un chef-opérateur qui n’était pas familier de ces paysages, et que j’ai choisi un Français. Les images possèdent une teinte dorée et on y a ajouté presque un filtre rose. Au final, ces images ne sont pas ternes du tout, même si le film parle de la mort. Je voulais éviter toute mélancolie et traduire l’idée que la mort et la renaissance sont toujours liées.

Quelles décisions avez-vous prises avec votre chef opérateur Aymerick Pilarski ?

On a voulu utiliser le matériel le plus léger possible afin de pouvoir capter au plus vite la lumière changeante. On n’a utilisé que des lumières naturelles, pour ainsi dire. L’éclairage vient des lampes frontales ou des lampes de poche de personnages. On a fait en sorte de ne pas rajouter de lumière en dehors de l’histoire . On s’est amusé à créer de la lumière de plusieurs manières possibles. Il était tellement doué pour ça que j’ai décidé de travailler à nouveau avec lui pour mon prochain film, que je tournerai aux États-Unis.

Que pouvez-vous nous dire sur ce prochain film ?

J’ai déjà le titre : Le Mur américain, car cela parlera du mur censé séparer les États-Unis du Mexique. Je ne peux pas prétendre très bien connaitre les États-Unis, en revanche l’idée de mur m’est familière. Outre la grande muraille de Chine, je me suis souvent retrouvé face aux ruines du mur de Berlin, grâce aux invitations de la Berlinale. Ce qui m’intéresse c’est l’impossibilité, quand on construit de tels murs, de prévoir de quel coté on se retrouvera, du bon ou du mauvais ? On se protège ou s’y on s’enferme ?

Je me suis déjà rendu dans le sud des États-Unis, à l’endroit où 8 sociétés différentes exposent les maquettes de leurs prototypes pour ce fameux mur. Mon idée c’est de fixer une caméra à un camion qui transportera un pan de ce prototype le long du futur tracé. Le camion croisera sur la route des gens qui seront par la suite confrontés au vrai mur, et ma caméra récoltera leurs points de vue. Le film sera tourné près de la zone 51. Les habitants de cette région doivent être particulièrement ouverts à l’idée de l’autre, vu toutes les histoires d’extraterrestres qu’il y a dans le coin (rires).

Ça m’intéresse aussi de tourner cette histoire sur les terres où ont eu lieu des affrontements entre les blancs et les Amérindiens. Il y a à peine 2 siècles, l’homme blanc était celui contre lequel il aurait fallu construire un mur. Aujourd’hui, ce sont eux qui estiment avoir besoin de se protéger.

Entre le mur de la frontière mexicaine et les policiers chinois, vous n’avez pas peur de sujets non-consensuels.

Vous savez, dans La Femme… je ne voulais pas nécessairement montrer mon propre point de vue. Je montre des éléments, des faits, et c’est aux spectateurs d’apporter leur propre point de vue. Cette histoire de Blancs et d’Amérindiens nous montrent aussi que les points de vue changent radicalement en fonction du pays, de l’époque.

Vous racontez tout ça avec beaucoup d’humour.

C’est indispensable. Je ne voulais pas que le film soit trop sérieux. En Mongolie, on voit loin dans l’espace grâce aux immenses étendues. On voit aussi loin dans le temps car dans ces paysages intacts, on comprend mieux qu’ailleurs que l’histoire de la présence humaine ne représente qu’une petite partie de ce qui s’est passé sur terre. Cela aide à prendre du recul, et toutes les histoires, aussi graves soient-elles, deviennent dérisoires.

Aviez-vous en tête des références picturales, orientales ou occidentales, pour la composition de vos plans ?

Oui, c’est bien normal d’être influencé par d’autres artistes. Ici, ce sont les cinéastes européens qui m’ont apporté le plus de références, notamment Fellini et Godard. Godard disait que n’importe quel événement pouvait servir de base à un film, ça veut dire que politiquement et socialement, le cinéma a sa place partout. C’est révolutionnaire, c’est d’une sagesse extraordinaire. Pour moi le cinéma doit refléter la réalité, même si ce n’est que la réalité du point de vue du cinéaste.

Certains plans du films, où ne sont cadrées qu’une bande de terre et une bande de ciel, m’ont rappelé les toiles de Mark Rothko. Est ce que c’est une référence qui vous parle ou vous inspire ?

Lui et moi avons une idée communes : plus c’est épuré, plus c’est beau. La simplicité peut permettre d’exprimer le plus de choses, y compris le plus de beauté. Il faut enlever, enlever, revenir au point d’origine, et on se rend souvent compte que tout état déjà contenu dedans. Je suis d’accord avec votre comparaison. On en revient également à la philosophie orientale. Dans la peinture chinoise, l’une des idées prépondérantes c’est de laisser du blanc. Laisser du blanc, du vide, pour permettre au spectateur d’imaginer des choses. C’est ça pour moi le sens de l’abstraction: inviter.

Entretien réalisé par Gregory Coutaut le 20 novembre 2019. Merci à Diana-Odile Lestage et Christie Laborde. Source portrait.

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