C’est l’une des révélations de l’année : l’Autrichien Lukas Feigelfeld signe avec Hagazussa (Incantations pour sa sortie française) un premier long métrage fascinant, film d’horreur racontant, au Moyen-Âge, les turpitudes d’une jeune femme vivant isolée dans les montagnes entre paganisme et sorcellerie. Le film, sélectionné entre autres à la Berlinale, sort en dvd le 31 juillet. Lukas Feigelfeld est notre invité, et il nous semble qu’il s’agit là d’un nom à suivre…
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Comment est né Hagazussa ?
Cela faisait déjà un certain temps que je jouais avec l’idée de faire un film sur la peur suscitée par la sorcière européenne et les vieilles traditions païennes. Une partie de ma famille vient précisément de cette région des Alpes autrichiennes, là où le film se déroule. Quand j’étais enfant, j’étais fasciné et effrayé par les vieilles histoires liées à ces montagnes. C’est une région où les anciennes traditions païennes sont encore très vivantes et jouent encore un rôle dans la communauté rurale. Au-delà de ça, j’étais très intéressé par l’idée de raconter une « vraie » histoire sur une femme qui est confrontée à la persécution, au harcèlement et au traumatisme à l’époque médiévale, et quels effets cela peut avoir sur l’état mental.
L’atmosphère dans votre film est incroyable, notamment grâce à votre travail sur le son, la musique, l’économie de dialogues.
En écrivant le script, je suis arrivé à la conclusion que je voulais m’éloigner un peu d’une structure narrative classique et essayer de raconter la lutte d’Albrun de manière plus atmosphérique, comme dans un rêve. Je pense que cela permet au spectateur de comprendre ce qui se passe dans sa tête. Quelque chose qui ne soit pas nécessairement basé sur une logique explicable, mais qui fonctionne davantage sur une compréhension subconsciente. Quand j’ai commencé à me concentrer sur l’esprit d’Albrun, qui est une jeune femme silencieuse, très isolée du reste du monde, les dialogues sont peu à peu passés au second plan et cela nous a menés à travailler sur l’environnement sonore : les sons de la nature, des montagnes, des bois et de tout ce qu’ils cachent.
J’écoutais déjà beaucoup la musique de MMMD en travaillant sur le scénario et j’ai eu ensuite le plaisir de travailler avec eux sur la musique du film. Tout s’est assemblé naturellement. Je voulais une musique qui soit proche d’un bourdonnement, mais je souhaitais quelque chose d’organique, pas électronique – ce à quoi ils sont parfaitement parvenus avec l’utilisation de violoncelles.
Hagazussa est un slowburner. Comment avez-vous géré la progression de la tension : est-ce que cela vient du script, ou davantage lors du montage?
Comme je l’ai évoqué précédemment, le rythme et la tension du film étaient déjà bien établis durant l’écriture. J’avais une idée très claire de ce que je voulais comme approche de l’atmosphère. Je devais donner à Albrun, ainsi qu’au public, le temps et l’espace pour pénétrer dans l’horreur et la magie de cette histoire. Je voulais également aborder le temps qui passe d’une autre façon, exprimer en quoi cette lenteur était normale dans la vie médiévale de tous les jours. Il n’y avait pas de précipitation dans une vie comme la sienne. J’imagine bien que cela demande à une partie des spectateurs une certaine patience, mais je crois que cela contribue à la compréhension de la souffrance d’Albrun.
Comment êtes-vous parvenu à produire un film aussi inhabituel ?
Ça n’a pas été facile. D’abord parce que c’est du cinéma de genre et que ce type de cinéma n’est pas facile à financer en Europe, mais aussi parce que nous avions ce scénario étrange. Quatre ans ont été nécessaires pour produire ce film. On a eu des problèmes d’hiver, d’été, de studio, d’argent etc… Au final, le film n’a été possible que grâce à l’aide d’amis, les installations et le soutien de l’académie du cinéma et notre équipe qui a sué sang et eau sur le tournage.
Quelles ont été vos inspirations sur Hagazussa ? Qu’il s’agisse de films, de peintures, de littérature…
J’ai fait beaucoup de recherches sur le paganisme allemand et autrichien, sur les traditions des Alpes et l’oppression des femmes à l’époque. Il y avait aussi beaucoup de références visuelles venant de peintures et de photographies. La peinture Die drei Lebensalter und der Tod de Hans Baldung a été l’une de nos plus fortes influences. Quant au cinéma, je dirais que Andrei Tarkovski, Possession d’Andrzej Zulawski ou Marketa Lazarova de Frantisek Vlacil ont influencé mon style tout comme les contes du cinéma tchèque que je voyais enfant.
Quels sont vos projets ?
Je commence l’écriture d’un nouveau scénario. Une histoire qui va disséquer les différents aspects de la violence dans une ville européenne entourée de la sombre atmosphère de l’extrême droite, cela traitera également de la crise des réfugiés, du patriarcat, d’homosexualité et du basculement progressif de la société urbaine. Voilà tout ce que je peux dire pour le moment.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 11 décembre 2017.
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