Luz, une jeune conductrice de taxi, se rend en transe dans un poste de police. Les policiers décident de mettre la jeune fille sous hypnose pour tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé. Rapidement, les réalités se confondent…
Luz
Allemagne, 2018
De Tilman Singer
Durée : 1h10
Sortie : –
Note :
LE SONGE DE LA LUMIÈRE
Luz (lumière en espagnol), c’est le prénom de la mystérieuse héroïne du film, qui dès la première scène du film apparaît comme hébétée, au bord de la transe ou de l’effondrement. C’est aussi l’éclair, le flash bref et aveuglant de ce premier long métrage sorti de nulle part (c’est le film de fin d’études de son réalisateur – lire notre entretien), et qui impose d’emblée son ton fantastique bien à lui, qui nous happe sans nous ménager. Difficile de rassembler dans l’ordre exact les pièces du puzzle narratif de Luz, film rempli d’échos et d’ambiguïté, mais qui ne ressemble qu’à lui-même. De prime abord, la direction artistique pourrait avoir l’air d’un clin d’œil ironique : la reconstitution minimaliste des années 80 à la fois glauque (le grain, les lumières) et flamboyantes (les looks féminins) – comme un épisode de Palace décoré par Fassbinder – pourrait nous faire croire que nous sommes sur le terrain du rire référencé, mais elle ne fait que participer à l’angoissante perte de repères générale. Peu importent les éventuelles références, Luz démontre rapidement qu’il peut aller là où on ne l’attend pas.
Luz est en danger. Elle déboule dans un commissariat avec une inquiétante histoire à raconter, et on ferait bien de l’écouter attentivement. En parallèle, dans au autre lieu (dans un autre temps?), une autre jeune femme se confie. Au comptoir d’un mystérieux bar presque vide, Nora a elle aussi un étrange récit à révéler. Une chauffeuse de taxi au look impayable d’ado lesbienne en salopette, une vraie possession démoniaque, un ancien sacrifice humain dans un pensionnat de jeune fille… Aussi fous soient-ils, les récits de Luz et Nora sont curieusement similaires, se superposant comme un ruban de Moebius. Et l’homme à laquelle elles s’adressent chacune pourrait bien être une seule et même personne.
Qui raconte quoi ? L’une des deux histoires n’existe-t-elle que dans l’imagination de l’autre femme ? Que cherchent-elles, alors que le simple déroulé de leur parole semble peu à peu redonner naissance aux créatures dont elles parlent ? Nora exige que son interlocuteur soit ivre pour l’écouter, tandis que Luz demande à être hypnotisée pour remonter le fil de ses souvenirs. Le spectateur se trouve à son tour dans un état d’ivresse similaire, dans un tangage hypnotisant.
Dans un procédé typiquement rivettien (en parlant de direction inattendue), Luz va tenter de se délivrer de la malédiction qui pèse sur elle en mettant elle-même en scène son histoire avec les moyens du bord. D’abord en reconstituant son taxi au milieu d’une pièce vide avec des chaises de bureau, puis en rejouant son histoire en interprétant tout à tour tous les rôles et toutes les voix ; rejouant la possession, et possédée par la puissance de son propre récit. Aussi minimaliste et terre-à-terre qu’il soit, ce théâtre de poche devient une porte ouverte vers une autre dimension, et laisse s’engouffrer l’imagination la plus folle. A mesure que les fumigènes recouvrent les décors terre-à-terre, les niveaux de récits et de réalité se recoupent et se recroisent dans un fascinant kaléidoscope.
| Suivez Le Polyester sur Twitter, Facebook et Instagram ! |
par Gregory Coutaut