La Japonaise Ru Kuwahata a été nommée à l’Oscar du meilleur court métrage d’animation pour Negative Space qu’elle a co-réalisé avec Max Porter. Ce film raconte une relation père-fils qui s’exprime… par l’art de ranger sa valise. Le résultat est d’une poignante mélancolie. Et nous a donné envie de rencontrer sa réalisatrice…
Comment est né Negative Space ?
Un ami à nous a mis en ligne le poème de Ron Koertge intitulé Negative Space, et l’éclat des mots employés s’est imposé dans le brouhaha des réseaux sociaux à la manière d’un petit bijou. Le texte a en lui cette rare franchise, équilibrant à la perfection la sentimentalité avec l’humour, et le dernier vers constitue une fin aussi satisfaisante qu’il peut être interprété de diverses façons.
Et parce que le poème de Ron est si minimaliste (il est constitué de seulement 150 mots), on a ressenti qu’il y avait suffisamment d’espace pour apporter nos expériences personnelles à cette histoire à travers l’animation. Nous sommes tous les deux assez sceptiques en ce qui concerne les adaptations très littérales et voulions être sûrs d’avoir une réaction assez forte au poème pour pouvoir nous l’approprier et en faire autre chose.
Comme il était pilote de ligne, mon père voyageait souvent quand j’étais petite. Je ne me souviens pas tellement de balades au zoo ou de visites de parcs d’attraction ; par contre l’image de mon père pliant avec précision sa chemise blanche est imprimée dans ma mémoire. Je me souviens de mon père ajustant sa montre juste avant de quitter la maison, de sa liste de choses à mettre dans ses bagages accrochée au mur près de son bureau. Mes souvenirs d’enfance les plus vifs sont liés à des objets, des textures et des routines quotidiennes.
Pourquoi avoir choisi cette technique d’animation en particulier ?
Nous avions la conviction que le ton du texte original nécessitait un procédé à la fois direct et clairement humain. Comme le film traite de relations humaines à travers un motif matériel – littéralement faire sa valise – nous voulions souligner les plis d’une chemise, le relief d’une ceinture en cuir, l’ondulation du plastique. La technique est apparue au moment de la lecture du poème à vrai dire.
En allant plus loin, il était intéressant pour nous de piocher dans notre propre enfance. Notre mémoire est étroitement connectée aux sensations du toucher, des textures. On se souvient par exemple d’un pull en laine qui démange, du rembourrage d’un canapé chez nos parents dans les années 80. En animant des matériaux réels qu’on peut plier et plisser, nous espérions activer comme une connexion avec les spectateurs du film.
Enfin, nous avons délibérément choisi d’utiliser l’échelle pour exagérer l’espace que le père occupe dans la vie de son fils et montrer comment cette présence évolue avec le temps. Le stop-motion donne une physionomie unique à l’espace que les autres méthodes d’animation n’ont pas, et c’était la technique la plus efficace pour communiquer ce sentiment.
Comment partagez-vous votre travail avec Max Porter ?
Nous travaillons ensemble depuis plus de dix ans et la façon dont on se répartit notre travail s’est naturellement dessinée au fil du temps. Notre processus d’écriture fonctionne comme un dialogue ; Max vient avec une idée, puis je fais des dessins à partir de cette idée, puis Max construit la séquence à partir de nouveaux dessins. A la fin, c’est difficile de savoir qui est responsable de quoi.
Après la phase initiale d’écriture et de développement, je guide le design, la confection du décor et l’animation des personnages. Max s’occupe davantage de la photographie, du travail sonore préparatif, de l’animation des objets et des effets.
Quelles sont vos autres influences hormis le poème de Ron Koertge ?
Lorsqu’on développe un film d’animation, on essaie de trouver de l’inspiration et des références venant de disciplines hors de l’animation.
Pour Negative Space, on s’est inspiré par exemple du travail de Ron Mueck sur l’exagération de l’échelle dans ses sculptures. Notre description du père vient directement de là, une figure qui prend littéralement beaucoup de place au début du film avant de diminuer à la fin.
Pour la photographie, il y a beaucoup de plans en plongée sur la valise pour voir comme son contenu est finement agencé dans cet espace restreint. On a également utilisé cette idée pour d’autres plans, comme ceux où les personnages sont surencadrés, minutieusement emballés dans leurs scènes. Avec cette direction en tête, nous nous sommes inspirés de Yasujiro Ozu, qui cadre ainsi dans Voyage à Tokyo par exemple.
Quelle a été votre première réaction lorsque vous avez appris que vous étiez nommée aux Oscars ?
Sur le moment, j’ai été surprise par la réaction de Max vu que généralement il ne montre pas trop ses émotions. Par la suite, j’ai été très heureuse de recevoir le soutien de gens que je connais depuis l’enfance, de collègues ou de festivals de films auxquels nous avons participé par le passé. J’ai réalisé à quel point cela était important qu’une petite production indé soit sélectionnée face à de gros studios aux Oscars. Il y avait très peu de réalisatrices nommées, et encore moins de femmes de couleur. Avoir la possibilité de représenter un groupe marginalisé dans l’industrie du cinéma était un honneur.
Qui sont vos cinéastes favoris ?
Dans l’animation, j’attends toujours de voir ce que vont faire des gens comme Niki Lindroth von Bahr, Emma De Swaef et Marc James Roels. Ils ont des voix unique et se surpassent à chaque nouveau film.
Entretien réalisé par Nicolas Bardot le 24 avril 2018. Un grand merci à Luce Grosjean.
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